samedi 29 août 2020

on dirait

 que c'est le bout de la route,

mais il n'y a personne

pour l'attendre...


est-ce bien ici le bout de la route?

se demande-t'il, 

il voudrait un peu de repos 

pour la nuit,

mais seul le silence le dévisage...


rien n'est simple, ce n'est pas comme

dans le conte, avec ces lanceurs de graines,

sur la route du bout du monde...


ici, on ne retrouve rien, ni personne,

l'amour semble avoir disparu,

insensible à la beauté du paysage...


l'homme marche 

jusqu'à la barrière des montagnes,

ces sommets sauvages inacessibles!..


il ferme les yeux, dans le vent, la poussière,

il repense à cette chanson qu'on lui chantait

enfant.

C'était la saison des mots clairs!


maintenant, il compte les jours 

et les saisons sur cette route

qui fait le tour de la terre


il a fait son bout de chemin,

il est fourbu, sans bagages, ni argent

sous les feux du froid,


il est (probablement) arrivé à destination!




 Nevada SR-375, by Isaac Brekken for The New York Times.

vendredi 28 août 2020

La petite planète

 est une espèce d'espace 

où (ne) se déroule (pas) paisiblement 

notre vie - notre quotidienneté -

jusqu'à ce qu'elle se brise, se courbe,

se déconnecte, se coince, se cogne, s'éclate!


est une espèce d' espace 

(non) continu, (non) infini, (non) homogène.

On sent confusément ses laps, ses fissures, 

ses hiatus, ses points de friction.


Mais en tant qu'usagers de cette espèce  d'espace, 

on préfère, de loin, l'opacité et la cécité :

une manière d'anesthésie!




 Estilhaços, Collage, 08/2020

jeudi 20 août 2020

Sur l'île, 

l'indécis tournesol et l'opulent hortensia pourpre,

l'un agile et mutin, l'autre timide en son coin,

règnent, à l'entrée du jardin, riant et coquet,

de la maison de pierre, bercés par le doux cri

des jeux enfantins, courant autour du bassin, 

dont le jet d'eau fait toujours son murmure argentin.


Rires, fraîcheur, candeur. Tout m'émeut, tout me plaît!

L'élan de la joie éclate en couleurs, se mêle à l'azur de l'océan,

et saute dans mon coeur, au soleil du matin.


Puis une fillette vient, son sécateur à la main,

et fait un bouquet charmant - c'est la fin 

de cet idylle estival! La fin de ce bonheur floral!


Les vaches paisibles ruminent, dans le pré.





Toute la vie est là
comme dans un tableau
sous nos yeux
Tous nos rêves
se heurtent
aux digues de la réalité
Au gré du vent
qui souffle
la plume s'envole

 

Pluma, 08/2020

lundi 17 août 2020

la joueuse de shamisen -

belle comme une geisha

contemple les miscanthus ondulants

 le samouraï sans épée -

un vieux guerrier déchu

sur le chemin du désenchantement

 

Settai Komura ( Yukishima Komura),  Illustration,  1937-1940

mercredi 12 août 2020

 I have sometimes thought that a woman’s nature is like a great house full of rooms: there is the hall, through which everyone passes in going in and out; the drawing-room, where one receives formal visits; the sitting-room, where the members of the family come and go as they list; but beyond that, far beyond, are other rooms, the handles of whose doors perhaps are never turned; no one knows the way to them, no one knows whither they lead; and in the innermost room, the holy of holies, the soul sits alone and waits for a footstep that never comes.

Edith Wharton, The Fullness of Life

dimanche 9 août 2020

Log book # 93

 

 

« Aesthetics rather than logical is the distinguishing feature of the mathematical mind. »

 Seymour A. Papert, On Aesthetic in Science

 

 

La théorie de la relativité a transformé notre conception du Temps, la physique quantique remet en question notre idée du Réel et la cybernétique nous impose désormais une nouvelle approche du Social.

Ce qu’on appelle la science-fiction n’est aujourd’hui que la pointe de l’iceberg d’une réalité beaucoup plus importante.

La littéraire que je suis, n’ayant pas ou peu de formation scientifique, se sent peu à l’aise avec les quarks et les quasars, mais s’aperçoit (notamment) qu’à sa manière la science, comme la littérature, est productrice d’un espace de fiction, d’un monde toujours ouvert à repenser et à reconsidérer. Le désir de connaissance est une stimulation perpétuelle qui provoque la recherche et la pensée au même titre que le désir d’écriture.

On peut par ailleurs affirmer, sans ambages, que le travail scientifique, comme le travail littéraire, ne relève jamais d’une totale spontanéité.

Il n’y a ni doctrine absolue, ni vérité immuable en science. Au cours de l’Histoire, la rigidité doctrinaire a rarement été synonyme de complexité ou de discernement. Kepler n’était pas qu’astronome, mais aussi astrologue et Newton, ce maître de la raison, a passé la moitié de sa vie à étudier l’alchimie.

Certes, à mesure qu’elle s’érigeait en modèle universel de savoir, la science refoulait les formes de pensée antérieures, à l’instar des mouvements littéraires qui se sont succédé.

Cela dit, dès l’époque de Platon, l’effort pour découvrir une cohérence explicative du réel sous le désordre des phénomènes s’identifie avec la recherche de structures mathématiques sous-jacentes. Même si les Grecs associaient les mathématiques aux mythes, ils atteignaient aussi un degré d’abstraction inégalé auparavant.

Aujourd’hui, « il est devenu impossible de penser une totalité qui ne soit potentielle, conjecturale et plurielle » (Italo Calvino, Leçons Américaines).

Ce qui compte d’abord tient à la multiplicité des relations, chaque système ou micro-système conditionnant les autres tout en étant conditionné par eux.

La science investit désormais tous les champs de notre réalité.

D’autre part, dans son ouvrage, intitulé La fin de la Modernité, Gianni Vattimo voit le monde actuel comme celui « d’une réalité allégée » car moins nettement divisé entre le vrai et la fiction, l’information ou l’image : « monde de la médiatisation totale où nous nous situons déjà pour une bonne part. »

Immergée dans la société, la technologie occupe tout l’espace sans donner l’impression de le dominer mais en laissant son empreinte partout.

« Contemporary society is highly fragmented by infinite subdivisions of groups based on skills, occupation, class, lifestyle, religion, ethnicity and special interests almost too staggering to imagine. » (Charles Newman, The postmodern aura).

Cette dispersion est encore plus accentuée par les mass media. La réalité est mise à distance par ces derniers qui produisent des découpages et des collages successifs qui ne servent qu’à représenter une succession rapide et désordonnée d’images, une suite de photographies qui saisissent des scènes quotidiennes, une sorte de zapping de la réalité, un rapide survol au profit du spectateur/lecteur/récepteur qui de temps à autre s’arrête pour glaner des informations.

C’est donc l’hétérogène, le pêle-mêle, le fragment, la dispersion qui prend actuellement le dessus dans nos sociétés, au détriment de la science, et de la littérature.

Pour le regard qui observe, il n’y a pas de réalité homogène mais plutôt une série de micro-informations de natures diverses qui participent à l’élaboration de notre perception.

Plongés dans un univers instable, les individus voient leur perception ébranlée à la fois par la relativité de l’univers spatio-temporel et par la masse des informations reçues qui les empêchent d’apprécier de façon juste un événement, la certitude d’un savoir local suscitant le soupçon d’une ignorance globale.

La constellation des informations provoque une consternation évidente : l’impossibilité de contextualiser et de poser un regard englobant sur un phénomène donné, car pour avoir une approche critique face aux images et aux récits que rapportent les médias, il faut aussi comprendre comment ils sont produits, c’est-à-dire à l’intérieur de quel cadre référentiel ils peuvent exister.

Pour y arriver, il faut savoir tenir compte du Temps qui structure notre espace et de l’Histoire qui structure nos savoirs.

L’un est l’autre sont indissociables.

 Dreamspace Reloaded #29 by Denis Olivier

lundi 3 août 2020

Log book # 92

Je ne sais pas si c'est la folie qui la fait voir la réalité ou si c'est la réalité qui la rend folle. 
Sa mère me confie, comme on confie un secret, qu'elle a déjà fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique, depuis son adolescence. 
Elle a commencé par faire des crises d'angoisse assez espacées, puis de plus en plus récurrentes. 
Elle était si troublée qu'on ne pouvait que l'enfermer pour qu'elle ne se mutile pas ou ne devienne un danger pour autrui.
On lui faisait subir des électrochocs, puis elle semblait aller mieux, son discours se posait, donc on la libèrait, puis elle replongeait de nouveau, quelques mois plus tard. 
Elle mène une existence troublée et troublante.
À son regard, on peut dire qu'elle a été plus malheureuse qu'heureuse dans sa vie. 
A-t'elle seulement le souvenir de quelques moments de bonheur?
Sa mère dit d'elle qu'elle semblait ne pas se lasser de poursuivre des chimères. 
C'est probablement quelqu'un qui a tout voulu et a tout perdu.
Aujourd'hui, elle est à bout de forces et sa famille est à bout de souffle.

Incontestablement, j'ai des points communs avec cette fille. 
Moi aussi, j'ai perdu un Temps fou à pourchasser les rêves les plus fous.
C'est pourquoi, maintenant, j'enferme le Temps, au creux de ma main fermée.
Je suis devenue avare de mon Temps. 
Mon Temps est honnête, il ne promet rien.
Il amoncèle les secondes, les minutes et les heures avec une tiédeur méthodique et efficace.
Puis il les ensevellit, muet, comme on ensevelit un cadavre qu'on veut occulter pendant longtemps. 
Mon Temps mourra de vieillesse au creux de ma main fermée.