« Dans Matière
et mémoire, Bergson se demande si la mémoire ne serait pas le point de
rencontre entre le corps et l’esprit. Mais pour lui, la mémoire ne se situe pas
dans le cerveau, qui est non pas le magasin des souvenirs, mais le centre d’action
de notre existence.
Alors, comment
survit le passé ? Si elles ne sont pas localisées physiologiquement en un
point précis, comment survivent les images du passé ? Faudrait-il
concevoir quelque chose comme un paradigme du temps passé au risque de s’y
engloutir et de tourner le dos au présent ?
dans Cahiers
de la Philosophie
À dix-sept ans, la
jeune fille timide et sage que j’étais avait encore la tête pleine de rêves,
était encore plus ou moins inconsciente de ses attraits féminins, et gardait
des traces d’enfance au bout de ses doigts. Elle se faisait aussi beaucoup d’illusions
ridicules et courait avidement derrière d’innombrables chimères.
J’avais, à cette
époque de ma vie, une conception plutôt platonique de l’amour et je pensais
encore, que la rencontre du prince charmant me permettrait un jour de vivre paisiblement,
sous un ciel sans ambages et un bonheur sans limites.
J’avais alors un
intense et fervent désir de (tout) vivre, en même temps que j’avais une
furieuse envie de mourir.
Plus tard dans
ma vie, même après deux tentatives de suicide sans aboutissement, je compris
que jamais, fût-ce une seule fois, je n’avais réellement eu envie de mourir.
Cet aveu fût
pénible et s’accompagna d’un sentiment de honte diffuse. Je compris à ce
moment-là que je m’étais menti à moi-même quand je pensais que je voulais en
finir avec mes jours et toute ma souffrance.
Je pris alors un
vif plaisir, presqu’immoral, à me représenter toutes mes curieuses angoisses
qui étaient à la base de mes tendances suicidaires, et qui étaient toujours méprisées
et repoussées par la Mort, qui à chaque fois déjouait sardoniquement mes
intentions.
Mais il y a des
sujets auxquels on n’a pas forcément envie d’accorder trop de place et je pense
que le lecteur qui m’a suivi jusqu’ici se refusera sans doute à croire quoi que
ce soit de ce que j’ai écrit.
Il croira que j’affirme
les choses parce que tout simplement j’en ai envie et que je n’ai aucune
considération pour la vérité et que je raconte n’importe quoi simplement pour
que le fil de mon histoire puisse suivre son cours et que ce récit demeure
plausible.
C’est vrai que
si c’est tel est le cas, l’acte d’écrire en devient presque inutile dès le
début.
La plupart du
temps, j’essaye de jouer le rôle d’un être normal jusqu’au point de corroder,
même ce qu’il y a de prétendue normalité en moi, à l’origine.
Mais j’avoue que
j’ai de plus en plus de mal avec les masques et les faux-semblants.
Ces pensées
décrivent, plus fréquemment que je ne le souhaiterai, des cercles dans ma tête.
Nous vivons actuellement des temps incertains et inquiétants.
Le pouvoir de
notre imagination semble s’être appauvri par le fait que les événements les
plus fantastiques qu’on pourrait imaginer peuvent en réalité désormais se
produire à tout instant, très naturellement.
Notre imagination
emprunte désormais les chemins les plus faciles. Une imagination qui est le
produit d’esprits tièdes, paresseux et bornés. L’indigence de mots qui ne
sonnent pas faux est également notoire.
Notre corps
lui-même a aussi pris un air lamentable et découragé, rabougri et rencogné.
Qui sait combien
de temps encore nous vivrons de la sorte ?
Tous les jours
de l’existence sont désormais un pénible réveil, un lourd fardeau.
Les gens autour
de moi semblent vouloir n’accorder aucune pensée au ‘lendemain’, trop occupés à
survivre au jour le jour.
Quant à moi, j’ai
le sentiment que je ne suis ni vivante, ni morte.
Mon ancien désir
d’un suicide naturel et spontané, qu’eût été la mort grâce à ma maladie, est complètement extirpé et oublié.
Mes douleurs
physiques ressenties graduellement, après chaque traitement, me font m’éloigner
des douleurs de l’âme. C’est une sorte d’autoprotection involontairement
obtenue, mais qui n’en résulte pas moins efficace.
Toutefois, j’ai
dans la bouche un arrière-goût métallique de vide.
Je me souviens
soudain du vers d’un poème que j’ai lu autrefois et dont j’ai oublié le nom de
l’auteur :
Et toujours c’était
une danse sans fin…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire