samedi 6 juin 2020

Log book # 77




« Dans Matière et mémoire, Bergson se demande si la mémoire ne serait pas le point de rencontre entre le corps et l’esprit. Mais pour lui, la mémoire ne se situe pas dans le cerveau, qui est non pas le magasin des souvenirs, mais le centre d’action de notre existence.
Alors, comment survit le passé ? Si elles ne sont pas localisées physiologiquement en un point précis, comment survivent les images du passé ? Faudrait-il concevoir quelque chose comme un paradigme du temps passé au risque de s’y engloutir et de tourner le dos au présent ?

dans Cahiers de la Philosophie

À dix-sept ans, la jeune fille timide et sage que j’étais avait encore la tête pleine de rêves, était encore plus ou moins inconsciente de ses attraits féminins, et gardait des traces d’enfance au bout de ses doigts. Elle se faisait aussi beaucoup d’illusions ridicules et courait avidement derrière d’innombrables chimères.
J’avais, à cette époque de ma vie, une conception plutôt platonique de l’amour et je pensais encore, que la rencontre du prince charmant me permettrait un jour de vivre paisiblement, sous un ciel sans ambages et un bonheur sans limites.
J’avais alors un intense et fervent désir de (tout) vivre, en même temps que j’avais une furieuse envie de mourir.
Plus tard dans ma vie, même après deux tentatives de suicide sans aboutissement, je compris que jamais, fût-ce une seule fois, je n’avais réellement eu envie de mourir.
Cet aveu fût pénible et s’accompagna d’un sentiment de honte diffuse. Je compris à ce moment-là que je m’étais menti à moi-même quand je pensais que je voulais en finir avec mes jours et toute ma souffrance.
Je pris alors un vif plaisir, presqu’immoral, à me représenter toutes mes curieuses angoisses qui étaient à la base de mes tendances suicidaires, et qui étaient toujours méprisées et repoussées par la Mort, qui à chaque fois déjouait sardoniquement mes intentions.
Mais il y a des sujets auxquels on n’a pas forcément envie d’accorder trop de place et je pense que le lecteur qui m’a suivi jusqu’ici se refusera sans doute à croire quoi que ce soit de ce que j’ai écrit.
Il croira que j’affirme les choses parce que tout simplement j’en ai envie et que je n’ai aucune considération pour la vérité et que je raconte n’importe quoi simplement pour que le fil de mon histoire puisse suivre son cours et que ce récit demeure plausible.
C’est vrai que si c’est tel est le cas, l’acte d’écrire en devient presque inutile dès le début.

La plupart du temps, j’essaye de jouer le rôle d’un être normal jusqu’au point de corroder, même ce qu’il y a de prétendue normalité en moi,  à l’origine. 
Mais j’avoue que j’ai de plus en plus de mal avec les masques et les faux-semblants.
Ces pensées décrivent, plus fréquemment que je ne le souhaiterai, des cercles dans ma tête. Nous vivons actuellement des temps incertains et inquiétants.
Le pouvoir de notre imagination semble s’être appauvri par le fait que les événements les plus fantastiques qu’on pourrait imaginer peuvent en réalité désormais se produire à tout instant, très naturellement.
Notre imagination emprunte désormais les chemins les plus faciles. Une imagination qui est le produit d’esprits tièdes, paresseux et bornés. L’indigence de mots qui ne sonnent pas faux est également notoire.
Notre corps lui-même a aussi pris un air lamentable et découragé, rabougri et rencogné.
Qui sait combien de temps encore nous vivrons de la sorte ?
Tous les jours de l’existence sont désormais un pénible réveil, un lourd fardeau.
Les gens autour de moi semblent vouloir n’accorder aucune pensée au ‘lendemain’, trop occupés à survivre au jour le jour.
Quant à moi, j’ai le sentiment que je ne suis ni vivante, ni morte.
Mon ancien désir d’un suicide naturel et spontané, qu’eût été la mort grâce à ma maladie,  est complètement extirpé et oublié.
Mes douleurs physiques ressenties graduellement, après chaque traitement, me font m’éloigner des douleurs de l’âme. C’est une sorte d’autoprotection involontairement obtenue, mais qui n’en résulte pas moins efficace.
Toutefois, j’ai dans la bouche un arrière-goût métallique de vide.
Je me souviens soudain du vers d’un poème que j’ai lu autrefois et dont j’ai oublié le nom de l’auteur :

Et toujours c’était une danse sans fin…


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