« Il m’arrive
de souhaiter la mort parfois, pas des autres, pas tout le temps, pas avec n’importe
qui… de souhaiter ma propre mort, comme une délivrance de tout ce qui me
choque, de ce qui me blesse dans la vie, dans la société. La mort, telle que je
la vois, c’est le sommeil. »
Guy Bedos
L’autre soir,
mon cousin préféré m’a dit, en blaguant, que je devrais boire de l’alcool pour
me détendre.
Je lui ai immédiatement
rétorqué que je ne serais absolument pas contre mais qu’il y aurait, dans ce
cas, de fortes chances que je devienne alcoolique en très peu de temps, si seulement
je commençais un jour à boire et pourrait ainsi mourir d’une cirrhose au lieu d’un
cancre… l’un dans l’autre, je ne sais pas lequel aurait prévalence… ils se
valent bien ! Nous nous sommes esclaffés bruyamment.
« Verse-moi
encore un verre de Porto… »
Mon roman
pourrait bien commencer par une pareille phrase. Il me faudrait aussi un bon
prétexte pour ouvrir la bouteille.
Quand j’étais
jeune et irréfléchie, j’ai pris quelques cuites mémorables, au point d’en avoir
mal aux cheveux. J’en garde encore un souvenir physique.
Je sortais
souvent pour aller en boîte et j’avais une bonne descente, ce qui me valait les
éloges de mes complices de ces ténèbres d’un soir.
Lors de ces
soirées inoubliables, j’éprouvais de l’amour pour le monde entier. C’est bien à
cause de cela que j’ai perdu de façon imprévue ma virginité, avec un garçon une
paire d’années plus jeune que moi, tout aussi vierge et inexpérimenté qui avait
du sang noir et un bel ornement qui exerçait sur moi l’effet d’un irrésistible
aimant.
Notre relation d’un
soir a perduré, contre toute attente, encore cinq ou six mois. Ce beau mortel fût
mon premier brise cœur. Il avait un penchant naturel pour l’amour universel lui
aussi et une âme de Casanova. Sa carrière d’amoureux inconditionnel des femmes
commença avec moi.
Un aussi charmant
garçon, plein de joie de vivre. Ah ! comme je pensai l’aimer. Nous étions
si ingénus et ignorants de la vie que nous ne comprenions pas même ce que nous
étions en train de vivre. Plus tard seulement, en examinant le passé, je me
suis rendu compte que j’avais vécu dans un brouillard émotionnel la plupart du
temps et je compris finalement le sens de mes faits et gestes et de mes émois.
En matière de
relations amoureuses, je n’ai jamais eu le cœur léger. L’insouciance avec
laquelle les autres usent de subterfuges dans leur rapport à autrui m’a
toujours causé beaucoup de soucis. Je ne parviens pas à accepter la mauvaise
foi, parce que tout simplement je ne la comprends pas.
D’aucuns prônent
pourtant que le sens de l’existence, c’est justement de s’amuser avec la vie,
mais dans mon cas, la vie est trop indomptable pour que je m’en amuse et je n’ai
jamais réussi à lui donner un coup de pouce dans ce sens, bien au contraire,
toute tentative de ma part produit le même effet que de mettre de l’huile sur
le feu.
Il m’a fallu
beaucoup de temps pour atteindre une certaine forme de maturité, gagner une
once soit-il d’intelligence émotionnelle, pour reprendre le jargon des sciences
cognitives.
Je me suis
aperçue sur le tard que les êtres humains ne sont pas forcément des êtres
humains ou plutôt que je ne savais pas exactement ce que sont les êtres
humains.
Finalement, j’ai
été gagnée par le scepticisme et je ne tombe plus aussi facilement dans le « racket »
émotionnel.
Je ne traîne plus
de rancœurs. Je supprime au plus vite colère et frustration, dès qu’elles
surgissent, mon corps et mon esprit y sont devenus comme allergiques. Je recherche le calme et l’apaisement en
toute situation.
La seule conclusion
vraiment valable qui s’offre à moi désormais est qu’il y a des moments, dans la
vie, où il faut à tout prix battre en retraite, abandonner les positions les
moins importantes pour sauvegarder les positions vitales.
J’ai probablement
enfin compris le sens des choses et de l’existence. Je ne souhaite plus jouer,
confusément et lâchement, le triste rôle du petit soldat qui m’a été attribué
par je ne sais quel petit dieu mesquin et vengeur ou par je ne sais quelle
force étrangère.
Je veux diriger
moi-même la course, avec audace et légèreté, la course de ce qui me reste d’existence.
Une consolation
plutôt comiquement tardive, mais une consolation quand même.
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