« Hélas !
pourquoi ces choses et non pas d’autres ? » Beaumarchais
Ma vie se traîne
désormais à pas de tortue.
Il me devient de
plus en plus difficile de rester en repos dans ma chambre.
Mon humeur est
aussi changeante que le temps dehors, tantôt au beau fixe, tantôt à ne pas mettre
un chien dehors.
Dans ses Pensées,
et les Fragments sur le Divertissement, Pascal fait une interprétation de
toutes les activités des hommes, aussi bien ludiques que sérieuses.
« Tout cela
est fait pour éviter le rapport à soi. Et le repos est une métaphore du rapport
à soi, de la capacité de l’être humain à se regarder lui-même sans diversion,
sans obstacle, dans la plus grande transparence. Cette vue serait
insupportable, c’est la raison pour laquelle tout ce qui nous en détourne vaut
la peine d’être pratiqué. C’est une insupportable idée du néant vers lequel
nous allons qui justifie les stratégies d’évitement, de diversion, autrement
dit la fuite de soi face à cette angoisse devant le monde. »
Mais voilà que,
alors que j’attendais impatiemment la « libération » du déconfinement,
la réouverture progressive de l’espace public qui s’est produit ici le lundi 04
mai, c’est-à-dire il y a plus d’une semaine et demie, voilà que j’hésite à ressortir
de mon bunker.
Il semblerait
que, paradoxalement, je n’ai maintenant plus qu’une envie : continuer de
végéter sur mon canapé.
Aurais-je pris goût au confinement ou est-ce seulement
la peur, cette boule au ventre constante, qui dicte mes comportements ?
Suis-je atteinte du syndrome de la cabane ?
Ou bien suis-je, tout bonnement, en état de stase, comme l’explique le philosophe indien Shaj Mohan.
La stase c’est l’immobilité
absolue. Un terme, qu’il entrevoit comme à la fois médical et politique.
« Si nous
additionnons les budgets nationaux en dépense de sécurité, nous constatons que
le monde dépense au moins autant, sinon plus, pour tuer les humains que pour
leur santé. Tout ceci est certainement malsain car, aujourd’hui plus que
jamais, nous peuplons un monde qui se regarde et se parle depuis les confins de
sa chambre. »
Nous devenons
anxieux les uns pour les autres, douloureusement conscients, pour la plupart du
moins, que la majorité du monde ne dispose pas des mêmes espaces de vie et de luxes
d’isolement. Nous sommes angoissés par la souffrance que provoque cette
pandémie. Nous devenons le monde entier qui se développe par le partage des
souffrances, des plaisirs, des techniques, des idées et de l’art et notre métempsychose
à travers les formes que nous prenons d’un mode de communication à l’autre
stimule ces mêmes réseaux.
Nous formons aujourd’hui un « tout » du
fait que tout le monde est partout. Il n’y a en principe plus de « terres
étrangères », même si nous vivons comme des Robinson Crusoé, dans nos
espaces fermés, aseptisés et sécurisés.
« Quand
il y a maladie, nous disons qu’il y a souffrance, c’est-à-dire un mal. Une certaine
conception du mal peut nous aider à comprendre la maladie actuelle de la
planète, celle de la stase. La stase, c’est quand le mouvement de quelque chose
est bloqué par quelque chose d’autre. Les Grecs ont utilisé le mot stase pour
parler d’un problème en politique. Lorsque plusieurs groupes se faisaient
concurrence dans une ville pour avoir le seul pouvoir de légiférer sur tout le
monde, il y avait stase. »
Aujourd’hui, les
composantes d’un arrangement politique mondial – les armées, les capitalistes,
les technologues, les ethno-nationalistes – sont toutes en concurrence pour devenir
la seule loi qui comprendrait l’ensemble de l’arrangement politique. Nous
sommes en état de stase.
Cependant, les
prétendants à la souveraineté servent un objectif particulier : ils
détournent l’attention des gens du bien-être du « tout », y compris
de leur santé individuelle.
Les technocrates,
les financiers, l’Amérique et la Chine, les régionalistes, les nationalistes
post-coloniaux, cette lutte entre les composantes pour être la loi de
compréhension du tout est notre stase. Le couronnement de la stase est cette
pandémie, et le pire de la stase est encore à venir. La stase nous maintient
au plus bas, elle nous tient occupés dans les derniers actes futiles des
souverainetés nationales et des nouvelles formes de politique raciale dont nous
sommes témoins aujourd’hui.
Seule une anastasis
(en grec, le pouvoir de se relever, une récupération, un renouveau), basée sur
une démocratie mondiale, peut maintenant surmonter cette stase.
Simultanément,
une anastasis s’impose aussi à moi, pour me remettre de la radiation à laquelle
est soumis mon tissu humain.
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