mercredi 8 avril 2020

Log book # 22




Il y a un certain geste qui m’inspire, actuellement, un de ces mouvements de dégoût que je ne saurais expliquer rationnellement et pourtant, devant le train train de la vie quotidienne, on ne peut pas dire que je sois une personne dénuée de fantaisie, mais ce geste en particulier me met dans une rage folle et provoque en moi une hargne indicible, frôlant l’intolérance. 
L’applaudissement !
Il a suffi qu’hier au soir, une amie m’ait envoyé un message whatsapien qui disait : « j’ai un réseau de voisins fantastiques, super prévenants et sympathiques. Tous les soirs, on se rassemble sur nos terrasses pour applaudir et avec ce beau temps qui persiste, on papote, comme dans le Sud de l’Europe… », pour que ma rage explose de plus belle.
Il arrive que l’on habite une vie entière dans la même maison, le même quartier sans jamais pousser plus loin dans des rues ou des places parfois très voisines ; cette proximité enlevant par là même la curiosité de les visiter. 
En réalité, je pense que c’est la même chose pour les gens que l’on connait depuis des décennies. On les fréquente, mais on ne sait pas grand-chose d’eux, puis tout d’un coup, on capte quelque chose de différent, de plus essentiel et on ressent un certain trouble, comme si quelque chose qu’on ne peut plus effacer venait de nous être instillé. 
Et on continue à se comporter comme avant, on feint l’indifférence, même si, intimement, on sait qu’un bâillement a eu lieu, sans que la volonté du geste transparaisse. 
L’applaudissement me fait bâiller, me donne la nausée et m’enrage par sa vacuité médiocre. Qu’on ne se joue pas la comédie. Le personnel de santé lui-même a la nausée de ces applaudissements de bobos crétins. Ceux-là même qui n’en avaient rien à cirer face à leurs luttes passées, vaines et sans gloire. Ceux-là même qui n’en auront rien à cirer, dès que la crise sanitaire actuelle sera derrière nous, et que leur petit cul aura été sauvé.
Leur prétention de solidarité est un bluff monumental, un bluff de plus, un spectacle pathétique, le reflet de leurs fioritures hypocrites. Ça me provoque une insurmontable répugnance.
Peut-être que je ne vois pas assez loin. Je n’ai pas la présomption de prétendre que je m’exprime justement sur cette affaire. 
Je présume simplement que la futilité du geste me mortifie, au plus haut point, car j’éprouve un sentiment d’impuissance, mêlé d’impatience, que j’ai du mal à endiguer, bloquée entre quatre murs à cause de ma maladie, alors que je voudrais être à l’avant, ma personnalité s’accommodant mal de la passivité oisive.
Ceci m’emmène, précisément, à cette notion de responsabilité – ces gens qui applaudissent bêtement se préoccupent-ils vraiment des misères d’autrui ? 
Encore hier, on annonçait au journal télévisé de 20 heures que 4,5 millions de refugiés syriens sont abandonnés à leur sort, dans les camps, sans matériel d’aucune sorte. 5% de la population de ces camps de réfugiés mourra sans assistance.
Comment, face à ces drames, si loin de nos yeux, exprimer la dérision de l’applaudissement tartuffe ?
Que ne transformer cette énergie en une action plus consistante et signifiante ?
Applaudir ça ne suffit pas. C’est de l’imposture, du bon sentiment bien douillet à l’eau de rose, bien rédempteur à peu de frais. Ça ne pisse pas loin !
Et puis, ces applaudisseurs, je les renifle encore, sont les mêmes qui, il y a quelques années, à la suite de l’attentat contre les installations de Charlie Hebdo, avaient inondé les réseaux sociaux le cul bien calé au fond de leurs canapés luxueux, avec des slogans « Je suis Charlie ».
Non, mes amis, vous ne l’avez jamais été, ne l’êtes pas et ne le serez jamais, mais je constate que vous n’avez toujours rien compris. 
Et je vais continuer de vous sourire plaisamment, en dépit de mon bâillement, mais certainement j’éprouverai un désir constant de vous traiter à coups de pied dans le séant.
Et voilà que les heures commencent leur galop impitoyable qui nous dévorera, nous autres pauvres créatures très insignifiantes et impertinentes.
Il fait froid. L’air est brumeux.


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