«Il juge à leur
vrai prix les contradictions des habitants d’Oran qui, dans le même temps où
ils ressentent profondément le besoin de chaleur qui les rapproche, ne peuvent
s’y abandonner cependant à cause de la méfiance qui les éloigne les uns des
autres. On sait trop bien qu’on ne peut pas avoir confiance en son voisin, qu’il
est capable de vous donner la peste à votre insu et de profiter de votre
abandon pour vous infecter. »
La peste, Albert
Camus
Je me dois de
plaider la cause de la « forme» et tenter de vous rendre à mes arguments
atténuants. Ses sautes d’humeur intempestives sont agaçantes, j’en conviens ;
tantôt elle grogne tant, qu’on ne peut plus la tolérer, tantôt elle sombre dans
un mutisme assourdissant.
Je pense qu’il
faut essayer de ne pas la juger, mais simplement la comprendre.
Bien-entendu,
quelque chose ne tourne pas rond dans sa tête, après des semaines de
ruminations, de rages folles et de colères noires, mêlées à un sentiment
anxiogène profond causé par les récents événements que nous vivons.
Auparavant, rien
ne paraissait l’entamer, mais maintenant, autour d’elle, même le silence est chargé
jusqu’à la gueule et sur son visage, un seul trait est lisible – une gravité
ombrageuse et méfiante qui annule aigrement sa nature communicative et
bienveillante.
Je l’observe
continuellement, en ce temps de quarantaine, où nous sommes tellement oisifs
que toute chose nous sert de prétexte à la distraction.
Je m’aperçois qu’elle n’est plus qu’à peu près en toutes choses. Elle tourne très souvent sur moi ce regard renseigné des quinquagénaires qui ont complété le tour des choses et qui sans vanité et avec une pointe de raffinement choisissent de se retirer précocement du monde.
Je me demande si elle ne fait pas un nettoyage par le vide. Elle décline maintenant, avec une régularité méthodique, la plupart des appels de ses amis, les priant poliment de ne plus insister.
Je m’aperçois qu’elle n’est plus qu’à peu près en toutes choses. Elle tourne très souvent sur moi ce regard renseigné des quinquagénaires qui ont complété le tour des choses et qui sans vanité et avec une pointe de raffinement choisissent de se retirer précocement du monde.
Je me demande si elle ne fait pas un nettoyage par le vide. Elle décline maintenant, avec une régularité méthodique, la plupart des appels de ses amis, les priant poliment de ne plus insister.
Elle n’a pas
bonne mine. Ses mains surtout attirent mon regard, elles sont presque trop
lisses. Je crois savoir qu’elle fait de mauvais rêves. Peut-être se parle-t
’elle interminablement.
Au petit matin, elle semble étourdie. Elle est double. Elle semble
ici et ailleurs, plongée dans une mer intérieure, au cœur de la tempête, tour à
tour, naufragée et rescapée. À toute heure du jour, son amertume semble profonde.
Une brume épaisse l’enveloppe. Elle se sent moisir, enfermée entre quatre murs,
à regarder le plafond, ne trouvant plus de quoi s’occuper l’esprit, sans
maîtrise sur son corps malade.
Plus rien ne semble la satisfaire, et elle se détourne de tout avec une application méticuleuse. La musique s’est arrêtée d’un coup, les lumières se sont éteintes. La vie où elle avait été heureuse… Elle avait besoin de sympathie, de secours, d’amitié. Ah ! l’amitié. Ce n’est pas simple. Ce n’est pas évident, car l’amitié possède cette fâcheuse tendance à la distraction. L’amitié est inconstante et impuissante.
Plus rien ne semble la satisfaire, et elle se détourne de tout avec une application méticuleuse. La musique s’est arrêtée d’un coup, les lumières se sont éteintes. La vie où elle avait été heureuse… Elle avait besoin de sympathie, de secours, d’amitié. Ah ! l’amitié. Ce n’est pas simple. Ce n’est pas évident, car l’amitié possède cette fâcheuse tendance à la distraction. L’amitié est inconstante et impuissante.
De toute manière,
les amis, il fallait désormais les éviter. La vie n’était pas facile, en ce
temps de pandémie et la vie devient encore moins facile quand le corps est
triste, car le cœur lui aussi se languit. Elle dit souvent qu’elle désapprend à
vivre, alors qu’il lui faut à tout prix survivre. C’est injuste. Elle ne se sent pas en forme
et a du mal même à tourner ses phrases. Elle parle moins bien, son discours est
peu assuré. Elle respire mal, à force de rester cloîtrée et l’air lui pèse sur
la poitrine. Sa seule envie est de marcher un peu. Elle se sent vivre sur une
île à la dérive, soufflée par des vents violents. La tempête fait rage et
détruit le monde tel qu’on l’a connu.
Il lui devient
de plus en plus difficile voire impossible de sourire et elle s’en veut d’empoisonner
mes journées avec son air triste.
Elle constate, avec
accablement, que chacun vit maintenant sans autre continuité que celle, au jour
le jour, du moi-moi-moi, avançant sottement à la surface de la vie vulgaire, à
travers les quelques mots partagés, coupés de la réalité.
Jusque-là elle n’avait jamais supporté de s’ennuyer et n’appréciait de la vie que les récréations. La vie lui jouait maintenant un sacré tour! Quelle punition n’avait-elle pas méritée? Sa vie ne pouvait plus continuer comme si rien n’était changé. Tout, pour elle, avait sombrement déraillé.
Jusque-là elle n’avait jamais supporté de s’ennuyer et n’appréciait de la vie que les récréations. La vie lui jouait maintenant un sacré tour! Quelle punition n’avait-elle pas méritée? Sa vie ne pouvait plus continuer comme si rien n’était changé. Tout, pour elle, avait sombrement déraillé.
Au petit matin,
on entend les sirènes du port, à l’entrée des bateaux qui, peu nombreux,
sillonnent encore les océans.
Puis la mer
monte. La lumière baisse et le jour s’achève. Un bateau ne va pas tarder à
partir. Un certain bonheur revient.
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