lundi 19 juillet 2010

«Lorsque le soleil eut établi des ombres fermes dans les patios et les jardins, ont vint la chercher. Dix gardes de Salomon portant des boucliers d'or, des casques leur couvrant les joues, et qui lui firent une haie d'honneur en tenant, de main en main, un long cordon de soie.
Il avait ordonné que son épreuve s'offre à la vue de tous, dans la plus vaste salle du palais que l'on appelait la Forêt du Liban, à l'écart dans les jardins. (...) Tout était une merveille de savoir-faire et de matériaux précieux. Les serviteurs et les gardes, la foule de la cour, les jaloux, les envieux, une quantité de femmes jeunes, tous étaient en grand apparat.
Il voulait encore l'impressionner. Telle était sa manière. Il était Salomon, qui en avait impressionné tant avant elle.
Elle ne doutait pas non plus qu'il espérait voir la rumeur de sa présence dans la «Forêt du Liban» se colporter longtemps, s'écrire sur les rouleaux de mémoire afin que jamais l'oubli ne les recouvre, elle et lui. (...)
Il se tenait déjà devant leurs sièges, sur une estrade de tapis et de coussins, sous un dai tendu entre les fûts de cèdre. (...) Quand elle fut près de lui, il dit pour que l'on entende à travers la forêt:
- La reine de Saba est venue devant nous depuis l'autre côté de la mer Pourpre. Elle est arrivée avec cent talents d'or et autant d'encens pour la richesse de Juda et Israël. Avec cent jarres d'huile de myrrhe, avec le cinnamome et le nard. Moi, Salomon fils de David, je dis: Makéda, fille d'Akébo, fille de Bilqîs, se présente dans les jardins de mon palais comme un torrent d'abondance. Elle connaît la langue de nos pères. Elle sait leur histoire. Elle vient sur Jérusalem comme le vent du matin souffle sur nos ombres. Sa caravane est à nos portes. Mais avant de déposer ses présents, elle veut s'assurer que Salomon en est digne. Et moi, je dis que c'est justice. Je me plie à son jugement devant le peuple de Jérusalem. (...)
Elle dit:
- Tout-puissant seigneur, on prétend que tu comprends ce qui est obscur et rends clair ce qui est contourné.
Il répondit avec un sourire:
- L'Éternel parfois me donne des réponses.
- On dit de toi que tu es le maître des oiseaux. Connais-tu cet oiseau qui n'a ni chair, ni sang, ni plumes, ni duvet? Jamais on ne sait s'il est mort ou vif, car il demeure immobile dans sa couleur d'or et de lait. (...)
- Reine du Midi, tu me parles d'un oeuf! (...)
Elle lança:
- C'est le même: dans la paume, il est doux et chaud, il ne pèse pas plus qu'une plume, ou bien il est glacé et pèse plus que les rochers du désert. (...)
- Tu me parles de ce nouveau-né que vous portez à la pointe de vos seins, vous, les femmes, ou bien dans la poussière, selon la volonté de Yahvé, qui décide de la vie et de la mort. (...)
- Dis-mois ce qui frappe comme un marteau mais demeure invisible bien qu'il paraisse dans le souffle des mots, froid ou brûlant.
- Tu me parles du coeur, reine de Saba. (...)
- Ma mère m'a laissé deux trésors, dit-elle. L'un vient de la nuit de la terre. Elle l'a creusé d'un passage. L'autre vient des abîmes de la mer Pourpre, c'est moi qui l'ai percé d'un orifice.
- La pierre d'or que je vois à ton doigt est le premier don de ta mère. Le second est la perle qui pend à ton oreille, fille de Bilqîs. (...)
- Sept cessent, neuf commencent, deux offrent à boire, un seul a bu. (...)
- Tu es femme, reine de Saba. La plus belle sur laquelle mes yeux se soient jamais posés! Et lorsque cessent les sept jours de ton sang de femme, commencent les neuf mois de l'enfantement afin que tes deux seins, ô le bonheur dun nouveau-né! deviennent la fontaine de l'enfant, l'unique qui saura y boire. (...)
- Connais-tu le tombeau qui va dans le monde sans jamais se séparer de ce qu'il contient et qui est un chant?
- Tu me parles de la baleine qui emportait Jonas, celui qui chantait pour prévenir nos malheurs.
- Qu'est-ce qui est un souffle du nez, un sens dans le vent tournant et plus rouge que le soleil au crépuscule?
- Le coeur de l'idiot dans la maison en joie, ô Makéda venue de la mer Pourpre.
L'ultime question, elle n'osa la lui offrir que dans un murmure. Il répondit de même.
- Quel est ce frôlement qui est le rien, ce rien de rien qui n'a pas même l'apparence d'une fumée et pourtant emplit jusqu'à éclater celui qui le perçoit?
- Le désir, belle du Midi, toi qui devant mes yeux es montée du désert en colonnes de fumée.
Elle lui avait dit:
- Ils ne mentent pas, ceux qui vantent ta sagesse.»
in La reine de Saba, Marek Halter

1 commentaire:

myra a dit…

j'adore cet écrivain!!!!!
bises