mardi 14 juillet 2020

Log book # 90

Le monde est devenu un lieu de malaise, de mort et de noirceur.
Les gens sont périclitants. Les objets sont hostiles. Les choses sont périssables. Rien ne marche plus.
La rue est une jungle jonchée de cadavres en décomposition. Il y a partout des odeurs fétides de pourriture.
L'obscurité est totale, la nuit et le jour aussi. Les gouvernements et leurs forces de l'ordre ne parviennent plus à juguler les tumultes répétés, les voix et les clameurs se font entendre en manisfestations violentes et meurtrières. Tous les jours des massacres ont lieu. 
Les vandales de tout acabit défilent désormais dans les rues, armés jusqu'aux dents, pillant et saccageant tout sur leur passage et semant la terreur. L'absence de loi est devenue la nouvelle normalité.
Ce qu'on appelait communément la "crise post-covid" a pris une ampleur insoupçonnée, presque inattendue. 
Le monde est plongé dans l'âge des ténèbres d'un nouvel obscurantisme barbare. 
Il n'y a plus ni chats ni chiens dehors. On entend rarement un piaillement d'oiseau. 
La peur se lit sur tous les visages. Les gens se terrent comme des animaux et n'osent plus sortir de chez eux. 
Ils vivent cloîtrés la plupart du temps. 
Il ne pleut plus depuis des mois. 
Le mince filet d'eau qui coule encore des robinets, de temps à autre, est de couleur brunâtre, ferrugineuse. Il faut la faire bouillir pour la boire ou faire cuire quelques aliments. 
Prendre une douche est devenu un luxe presqu'impossible. L'eau est rationnée quelques heures par jour ainsi que l'électricité et le gaz.
Dans le jardin, toute la végétation a grillé et les arbres sont désséchés et morts. Une épaisse couche de poussière recouvre toutes les surfaces et aussi les murs. 
Un vent chaud saharien souffle en permanence, recouvrant toute surface d'une couche de poussière tenace. La respiration devient très difficile, sans s'humecter constamment les narines.
Dans les supermarchés, la nourriture n'abonde plus comme autrefois. Il faut se lever de bonne heure et affronter les longues files pour se procurer de quoi manger pour un ou deux jours. Tout est rationné, comme en temps de guerre.
Je rêve de fruits juteux et de légumes frais. 
Ces denrées sont maintenant un luxe presque introuvable ou hors de prix. Certains s'approvisionnent au marché noir en payant quatre fois le prix. 
Mes maigres repas sont souvent faits d'une sardine à l'huile déposée sur une tranche de pain à moitié rassis. Je m'estime heureuse lorsque je parviens à manger un fruit à moitié pourri de temps à autre.
Des millions de personnes meurent chaque semaine de la faim, d'après ce que disent les journaux télévisés qui nous apportent encore notre lot quotidien d'événements tragiques, quelques heures par jour. Les chaînes n'ont plus de budget pour de nouveaux programmes d'entertainment, ce qui veut dire que nous regardons les mêmes programmes, déjà visionnés des centaines de fois, en boucle. 
Il faut s'attendre à ce que bientôt tout service de radiodiffusion soit coupé et ce sera le silence total.
La vie est devenue lente, insistante, encore que sans espoir. Tout le monde vit apeuré, en mode instinct de survie. 
Nous sommes devenus des bêtes aculées et dangereuses.
Les réseaux de communication sont défaillants et la plupart d'entre nous n'ont plus ni téléphone portable ni internet pour défaut de paiement. Le téléphone fixe marche une fois sur dix. Les réseaux sociaux ne fonctionnent plus, car les grandes sociétés qui en avaient le monopole ont depuis longtemps fait faillite. Les services postaux ne sont plus qu'un vieux souvenir.
Il est très difficile voire impossible d'avoir des nouvelles de nos familles et amis. 
Chacun vit en semi autarcie. Le regroupement aussi est impossible car toutes les frontières sont fermées et les quelques vols qui décollent, à partir des aéroports encore ouverts, sont à des prix inaccessibles pour la grande majorité de la population. 
Il est d'ailleurs très dangereux de s'y risquer, car bon nombre d'avions ont été abattus, un peu partout dans le monde, par des groupes terroristes opérant à partir de pays voisins.
Ça fait des semaines que je n'ai plus de nouvelles de ma famille et je ne sais même pas s'ils sont encore en vie.
Mes vêtements informes et sans couleur puent la sueur. Je ne les lave qu'une fois par semaine dans l'eau qui reste dans la bassine, une fois que j'ai terminé de laver mon corps. 
Combien de temps encore pourra-t'on continuer à vivre ainsi?
Je suis devenue vieille, tellement vieille qu'il serait difficile de m'attribuer un âge, à tel point que je n'ose même plus me regarder dans une glace. 
Les rares humains que je croise, lors de mes rares sorties en magasin d'alimentation, ont le même air cadavérique que moi. C'est rassurant quelque part.
Le monde comme nous l'avons connu n'existe plus et celui dans lequel nous avons survécu est sur le point de disparaître. 
Une puanteur insoutenable se dégage des égouts. 
Il est impératif de se cloîtrer chez soi, après avoir fermé portes et fenêtres et malgré la chaleur caniculaire qui s'éternise, puis il faut attendre la nuit et continuer de se terrer, au fond de son lit, dans l'obscurité la plus totale, car il n'y a plus de bougies dans le commerce et l'élécticité ne fonctionne que quelques heures par jour. 
De toute façon, tous les appareils ménagers ont rendu l'âme depuis longtemps et on ne trouve que très rarement des ampoules électriques pour les lampes. 
Je n'attends qu'une chose de mes journées... 
ne penser à rien, m'oublier moi et les autres et parvenir à m'endormir, lorsque vient le crépuscule, pour quelques heures.

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