jeudi 25 juin 2020

Log book # 87




Il est midi. Mon fils M. me conduit à l’hôpital pour la prise de sang habituelle, qui précède tout nouveau traitement.
Il fait beau. Il fait chaud. J’observe ce paysage, plus que familier, défiler sous mes yeux décillés et constamment humides et larmoyants.
La mer couleur émeraude, sans ondulation, les plages pleines de monde, les maisons, les arbres, la route, les autres véhicules, le pont sur le fleuve, le soleil qui miroite et qui chauffe ma peau qui est devenue un aimant et qui brûle sans protecteur solaire.
J’appréhende l’attente. L’impatience de la longue attente debout, le dos appuyé contre toute surface dure, car la fatigue me plombe les jambes, entre gens masqués et aussi impatients que moi . J’essaye de ne pas y penser et de m’abstraire. L’exercice de la patience est devenu un impératif, au quotidien.
J’invente rapidement un subterfuge, une astuce. La fugue. J’ébauche une histoire pour me distraire. Puis j’essaye de me souvenir d’épisodes merveilleux de ma vie…
Quels épisodes ? Je sens un léger vertige. Passons à autre chose…
Ces derniers temps tout semble m’échapper des mains à une allure vertigineuse, en même temps que nos sociétés humaines sont tombées dans une démesure aux contours schizophréniques.  Les gens sont comme fous, après de longs mois de confinement et de privations… des fêtes sauvages et clandestines s’organisent un peu partout et remettent en question toutes les précautions prises jusqu’à ce jour. Un reconfinement a lieu dans plusieurs pays. On parle déjà d’une deuxième vague, dans la presse internationale et les journaux télévisés que je regarde parcimonieusement. Je suis devenue religieuse – ma religion, le fatalisme, n’exige aucune dévotion, ni prière. Il me suffit d’ouvrir les yeux tous les jours et de vouer mon corps à l’Univers.
J’oscille plusieurs fois par jour entre la colère et la résignation, entre l’angoisse sans nom et un calme exagéré.
Parfois, il me vient une envie soudaine de pleurer, mais aucune larme n’est versée, comme si la crise de pleurs s’accomplissait par le simple désir.
Certains jours, je ressens un spleen tristement féroce, je m’ennuie et je m’énerve ; d’autres jours, je suis aussi languide que mes chats et je m’enthousiasme pour des bricoles sans intérêt aucun.
Ou bien je me passionne pour un arbrisseau qui pousse spontanément, dans mon jardin, par exemple, le chant des oiseaux au petit matin… et il me devient presque insupportable de ressentir autant de bonheur.
D’autres fois encore, je deviens âpre et dure comme l’acier et je me referme sur moi-même, indifférente aux autres, à la vulgarité du monde et à toutes ces misérables tragi-comédies.

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