mercredi 24 juin 2020

Log book # 86



« If a man could pass thro’ Paradise in a Dream, and have a flower presented to him as a pledge that his Soul had really been there, and found that flower in his hand when he awoke – Aye ? And what then ? »
from the notebooks of Samuel Taylor Coleridge


Je ne sais plus comment exprimer le doute, la crainte, l’anxiété.
C’est l’été aujourd’hui, mais rien ici ne ressemble plus vraiment à l’idée qu’on se fait habituellement de l’été.
Cette douce et charmante saison de l’année ne suscite d’ailleurs plus aucune excitation ou exaltation particulière de ma part.
Il fait chaud, certes, mais ma tanière est fraîche et après avoir passé le printemps, confinée entre ces quatre parois, et face aux récents événements, j’avoue que l’envie me prend de ne plus jamais sortir dehors.
Mon sentiment contradictoire, partagé entre la claustrophobie qu’entraîne un trop long confinement et l’agoraphobie suscité par l’idée d’aller dans la foule,  semble être partagé par d’autres humains. Pas plus tard qu’hier, un ami de province me disait qu’il craignait que certaines personnes de son entourage, notamment son meilleur ami et sa propre mère, ne sortent plus jamais de chez eux, tellement le traumatisme semblait être profond, et tellement ils semblaient s’être accommodés à la situation de réclusion et développé par la même occasion une crainte presqu’irrationnelle de la rue et des autres.
Je dirais, en m’auscultant moi-même, que je suis certainement atteinte de ce syndrome, même si à un degré moindre, commun à ces deux êtres, et que nous sommes certainement nombreux dans ce cas, au vu des fêtes clandestines et des rassemblements sauvages, organisés par toute sorte d’imbéciles heureux, un peu partout dans le monde, qui ont déclenché une nouvelle vague de contaminations et un retour en arrière dans certaines règles de déconfinement et l’imposition de lourdes amendes aux prévaricateurs de tour acabit.
À mesure que le temps passe, chaque jour devient répétitif et monochrome. Ma routine de recluse n’est brisée que par quelques sorties obligatoires à l’hôpital pour me soumettre aux traitements de chimio.
Est-ce que je ressens encore du plaisir ? Mais comment définir désormais le plaisir ?
Je regarde par la fenêtre et je me demande par moments à quoi bon ?
Ces moments de doute peuvent aller d’une minute à une journée entière de torture de l’âme, de rage incontrôlable, d’indolence indifférente ou d’apitoiement gratuit.
Je m’oblige alors méthodiquement à rebrousser chemin. J’avale une bouffée d’air comme si je respirais pour la première fois et bien que ma poitrine soit douloureuse, je redécouvre le plaisir de simplement respirer.
Oui, il est très facile d’arriver à un tel degré de malheur, sans savoir exactement pourquoi on y est arrivé, et d’en venir à l’aimer comme si c’était la seule émotion qui en vaille la peine.  C’est idiot, je le sais. J’en prends immédiatement conscience. C’est ce qu’on appelle probablement la force de l’âge. La sagesse en somme.

Aujourd’hui, c’est le premier jour d’été.
Il fait beau.
Les oiseaux chantent dans les arbres.
Personne ne peut être véritablement heureux en vivant à la merci de ses instincts et de ses pulsions. Et je pense au lent renoncement serein qui ramollit ma nature encore trop inquiète, anxieuse et exaltée .
Ce doux repos recherché par un esprit trop longtemps tourmenté qui se met désormais à l’abri des effets dévastateurs des douleurs des passions et n’aspire plus qu’à vivre dans la tiédeur de l’aurea mediocritas,  sans souffrances inutiles.
J’aspire à (re)gagner et cultiver ma nature contemplative, dans le calme et la paix. Pourtant, trop souvent encore, je m’évertue à chasser le naturel et il revient au galop…  
Je me sens parfois comme un arc sans flèche, après l’avoir malencontreusement brisée en mille morceaux, mais je suis de plus en plus consciente qu’il y a une joie sous-jacente au renoncement, à la résignation.
Je ne veux plus brûler du feu et de la frénésie des passions et de la démesure orgueilleuse de mes désirs et de mes ambitions.  Je souhaite humblement m’éloigner de tout ce qui représente la vacuité et la futilité de mon existence. Je veux me reposer et atteindre la sérénité de la fleur qui balance sous le souffle calme de la brise.
Je veux atteindre le degré de conscience qui me permettra de gagner assez d’intelligence émotionnelle pour finalement parvenir à cette forme suprême de perfection humaine – le détachement.
Je veux abandonner tout ce qui peut encore contribuer à me détruire et me dissocier de mon moi profond.
Je ne ressens plus aucun intérêt envers l’autre.
Je veux m’intéresser à moi,  me sauver moi, le seul être vraiment présent à mes côtés et que je trainerais jusqu’à ma mort.
Je ne vais pas continuer à trainer, comme des boulets, les cadavres du passé.
Je les abandonne aux charognards.


Aucun commentaire: