Aujourd’hui, l’envie
m’est (re)venue de jouer outrancièrement avec les mots. C’est pourquoi, j’ai pris, sans y réfléchir,
dans ma bibliothèque, ce livre, que j’ai ouvert au hasard et où j’ai pioché ces quelques mots, que j’écris
en italique:
De, en, ou,
multiplier, qui, de, traversent, indispensables, la , iceberg, plus, aujourd’hui,
recherche, apparaissent, semble, littérature, de, la, champ, que, d’abord,
scientifique, largement, dans, aussi
Je les ai (re)cueillis
sept par sept, puis je les ai agglutinés avec d’autres qui ont surgi par
association libre et j’en suis arrivé à ce texte-puzzle qui est, somme
toute, très révélateur de mon mode d’écriture habituel.
J’avoue que je
raffole de formes expérimentales d’écriture depuis toujours.
De fil en
aiguille, je parviens
à multiplier,
largement,
les
indispensables moments de répit,
qui
traversent mon esprit
et qui apparaissent,
d’un point de
vue exclusivement relié
au champ
scientifique,
comme la
pointe de l’iceberg
de mon sublime
effort de survie.
Ce petit
texte en prose
semble d’abord
plus de la littérature,
mais il contient
aussi une recherche ludique,
que je ne saurai
aujourd’hui vous cacher,
ou que vous
aurez deviné, de vous-même.
J’ai toujours
été joyeusement attirée par les nombreuses contraintes qu’un de mes auteurs
préférés, Georges Perec, utilisait dans la structure romanesque de ses œuvres.
Georges Perec a
été engagé pendant plus de dix ans dans les recherches de l’OULIPO (Ouvroir de Littérature
Potentielle) fondé par Raymond Queneau et Francis Le Lionnais, en 1960, qui
regroupe mathématiciens et littéraires travaillant ensemble sur les structures
littéraires.
« Proposer
l’écriture comme pratique, comme jeu, approfondir ce qu’il en est du langage en
s’opposant à la proéminence du message sur le code et aux « valeurs »
telles que l’Œuvre, l’Inspiration, la Création, voilà quelques-unes des bases
de travail de l’Oulipo.
La contrainte
est, avec la potentialité – c’est-à-dire une exploration de virtualités–, un
des mots clés de l’Oulipo. L’esprit qui régit la contrainte Oulipienne avait
été bien expliqué dans un texte prémonitoire de Raymond Queneau, écrit
longtemps avant que ne soit constitué le groupe qu’il aida à fonder :
Une autre bien fausse
idée qui a également cours actuellement, c’est l’équivalence que l’on établit
entre inspiration, exploration du subconscient et libération, entre hasard,
automatisme et liberté. Or, cette inspiration qui consiste à obéir aveuglément
à toute impulsion est en réalité un esclavage. Le classique qui écrit sa
tragédie en observant un certain nombre de règles qu’il connaît est plus libre
que le poète qui écrit ce qui lui passe par la tête et qui est l’esclave d’autres
règles qu’il ignore. »
Perec fut notamment un
spécialiste du lipogramme, texte où l’auteur s’astreint à ne pas faire entrer
une ou plusieurs lettres. La Disparition par exemple, publié en 1969, est
un lipogramme en E, c’est-à-dire un roman de trois cent onze pages où la lettre
E n’apparaît pas – d’ailleurs le titre qui fait allusion à une enquête policière,
rappelle métaphoriquement cette absence. Trois ans plus tard, l’auteur publiera,
Les Revenentes, en n’utilisant que la voyelle E, mais en se permettant
une certaine quantité de distorsions en cours de rédaction.
« La lettre E est
un régulateur du système linguistique qui saute et qui provoque une
désorganisation de ce système, obligeant ce dernier à « s’ouvrir », c’est-à-dire
à aller chercher beaucoup de nouvelles informations, de mots rares ou
tarabiscotés que le lecteur n’a pas coutume de lire dans une prose française
traditionnelle. »
Le terme « jeu »
vient du latin jocus qui veut dire « plaisanterie ». Penser le jeu,
c’est également s’amuser à le déjouer.
Georges Perec avouait,
en entrevue, sans aucune gêne, ne pas toujours respecter les règles du jeu lors
de la rédaction d’un texte.
« En fait le jeu,
dans sa formation même, crée un paradoxe qui est au centre de toutes les
activités de l’existence humaine. Activité libre, le jeu est le symbole de la
liberté. Et pourtant, pour atteindre cette liberté, il faut suivre des règles
précises, strictes qui par définition, contrecarrent toute velléité de liberté.
C’est pourtant à ce prix seulement qu’il est possible d’accéder à la parfaite
liberté donnée par le jeu. Il met en scène et lie inextricablement l’opposition
de l’imaginaire et du principe de réalité. Ainsi on peut placer « le jeu à
l’intersection du monde extérieur et intérieur, dans ce « no man’s land »
où se rencontrent les préoccupations subjectives et la vie commune, et ouvre
ainsi à la spéculation un domaine immense.
Il est indéniable que
le jeu est une des exigences sérieuses et organiques du psychisme de l’homme. Le
jeu est ouvert sur l’imagination, sur une forme d’intelligence qui consiste à
manipuler des éléments simples pour obtenir des constructions potentiellement
très compliquées. »
Source : Le jeu
des coïncidences, Jean-François Chassay
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