Les souvenirs de
l’enfance qui demeurent sont comme un petit durillon que je peux sentir à tout
moment.
J’en conserve
quelques impressions visuelles, mais j’en ai surtout plus ou moins oublié la
plupart, reléguées à l’arrière-plan de ma mémoire et ne souhaitant guère en
sortir.
Je me souviens
qu’il m’arrivait, assez régulièrement, d’inventer des histoires de maladies imaginaires
afin d’échapper à une nouvelle journée d’école.
Ma mère se
laissait aisément persuader que mon rhume ou mon mal d’estomac intempestifs
étaient réels et graves et me conseillait de garder la chambre. Je trainais derrière
moi tout un historique de maladies chroniques qui avaient fini par plaider en
ma faveur et me servaient finalement à quelque chose d’utile.
Enfant, j’étais
petite et chétive, plutôt centrée sur moi-même, perdue dans mes rêves éveillés,
mais j’avais de bonnes notes et je m’ennuyais mortellement à l’école.
Ces expériences
de l’enfance laissent bien entendu des traces indélébiles. Elles ne sont aucunement
imaginaires et la peur de l’abandon, la peur du noir, la peur du grand méchant
loup, tout cela était bel et bien réel.
Ce qui me revient
à l’esprit, aujourd’hui, et qui s’est profondément gravé en moi est un
sentiment d’isolement ; l’expérience traumatisante de se sentir différente
– une outsider.
Ce sentiment, je
le ressens toujours.
Je ne fais, aujourd’hui
encore, partie d’aucun groupe, d’aucun ensemble. J’ai une tendance
irrationnelle, pétrie d’effroi et de rage antique, à fuir tout regroupement d’humains.
Bien au
contraire, les livres me sont toujours apparus comme des « êtres vivants »
autrement plus dignes d’intérêt. Mes rencontres avec chaque nouvel auteur ont
toujours changé quelque chose dans ma vie, dans mon rapport au monde.
Dans certains
moments où j’étais en proie à la perplexité, alors que j’étais à la recherche
de quelque réponse, toujours un livre se présentait à moi et me parlait comme
un ami.
À cet âge-là
aussi, le temps nous paraît inépuisable. Nous nous investissons à corps perdu
dans nos rêves et nos espoirs, puis, un jour, nous nous réveillons et nous observons
attristés, toutes les photos de notre enfance et de notre jeunesse passées. Et nous
découvrons que le Temps est sans pitié. Il passe désormais de plus en plus vite
et s’ingénie à tout démolir.
La vie ne s’est
pas présentée comme nous l’avions projetée. Toutes les chances nous ont été
dérobées, l’une après l’autre.
Je suis
maintenant une vieille dame aux cheveux blancs et bientôt on me dira, lors d’une
photo de famille : « Souris, grand-mère ! »
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