mercredi 10 juin 2020

Log book # 81




Les souvenirs de l’enfance qui demeurent sont comme un petit durillon que je peux sentir à tout moment.
J’en conserve quelques impressions visuelles, mais j’en ai surtout plus ou moins oublié la plupart, reléguées à l’arrière-plan de ma mémoire et ne souhaitant guère en sortir.
Je me souviens qu’il m’arrivait, assez régulièrement, d’inventer des histoires de maladies imaginaires afin d’échapper à une nouvelle journée d’école.
Ma mère se laissait aisément persuader que mon rhume ou mon mal d’estomac intempestifs étaient réels et graves et me conseillait de garder la chambre. Je trainais derrière moi tout un historique de maladies chroniques qui avaient fini par plaider en ma faveur et me servaient finalement à quelque chose d’utile.
Enfant, j’étais petite et chétive, plutôt centrée sur moi-même, perdue dans mes rêves éveillés, mais j’avais de bonnes notes et je m’ennuyais mortellement à l’école.
Ces expériences de l’enfance laissent bien entendu des traces indélébiles. Elles ne sont aucunement imaginaires et la peur de l’abandon, la peur du noir, la peur du grand méchant loup, tout cela était bel et bien réel.
Ce qui me revient à l’esprit, aujourd’hui, et qui s’est profondément gravé en moi est un sentiment d’isolement ; l’expérience traumatisante de se sentir différente – une outsider.
Ce sentiment, je le ressens toujours.
Je ne fais, aujourd’hui encore, partie d’aucun groupe, d’aucun ensemble. J’ai une tendance irrationnelle, pétrie d’effroi et de rage antique, à fuir tout regroupement d’humains.
Bien au contraire, les livres me sont toujours apparus comme des « êtres vivants » autrement plus dignes d’intérêt. Mes rencontres avec chaque nouvel auteur ont toujours changé quelque chose dans ma vie, dans mon rapport au monde.
Dans certains moments où j’étais en proie à la perplexité, alors que j’étais à la recherche de quelque réponse, toujours un livre se présentait à moi et me parlait comme un ami.
À cet âge-là aussi, le temps nous paraît inépuisable. Nous nous investissons à corps perdu dans nos rêves et nos espoirs, puis, un jour, nous nous réveillons et nous observons attristés, toutes les photos de notre enfance et de notre jeunesse passées. Et nous découvrons que le Temps est sans pitié. Il passe désormais de plus en plus vite et s’ingénie à tout démolir.
La vie ne s’est pas présentée comme nous l’avions projetée. Toutes les chances nous ont été dérobées, l’une après l’autre.
Je suis maintenant une vieille dame aux cheveux blancs et bientôt on me dira, lors d’une photo de famille : « Souris, grand-mère ! »

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