mardi 9 juin 2020

Log book # 80




«  Il y a en moi, une jeune fille qui refuse de mourir. »
Tove Ditlevsen

Il m’en coûte actuellement beaucoup d’être un simple être humain.
Ma déchéance physique s’accentuant, je ne me regarde presque plus dans la glace et lorsque cela m’arrive encore, je vois l’envers de moi-même et j’en ressens une profonde tristesse, proche du désarroi.
Je ne me sens même plus une femme. Bien sûr, je passe sous le silence la plupart de mes émotions, car les dévoiler serait douloureusement au-dessus de mes forces.
Ma réalité, depuis la fin de l’année passée, est faite de beaucoup de choses, mais surtout d’attente. Attente des résultats des examens prescrits, attente d’un diagnostic définitif, attente de traitements, attente d’une intervention, attente d’une convalescence, attente d’une rémission. Et comme si cette attente n’était pas assez lourde déjà, attente de la fin de cette maudite pandémie.
Confinée chez moi, depuis trois mois maintenant, je scrute souvent la nuit de ma fenêtre, avant de fermer les volets – et je ne peux qu’admettre rageusement que l’attente s’éternise.
J’essaye de me donner un sentiment de sécurité et de bien-être, et parfois j’y parviens pour quelques instants, le reste du temps, je vis dans les limbes, telle une âme en peine, comme un pâle fantôme.
Quand j’étais enfant, j’avais une peur irraisonnée du noir. Les recoins obscurs de ma chambre étaient autant de menaces à mon intégrité physique.
J’étais terrifiée, chaque soir, par le danger de m’endormir et d’être attaquée par une chose cachée, dans les ténèbres de la nuit.
J’avais aussi très peur d’être laissée seule. La solitude était déjà là, bien enracinée à l’intérieur de moi.
Je me sentais, en permanence, exclue de quelque chose de vital quand j’étais livrée à moi-même – un avant-goût du sentiment de délaissement qui ne m’a jamais laissé respirer profondément. Le sens de l’abandon - un échec complet qui aura gâché tous les plaisirs de mon existence.

Chaque jour, je m’efforce de faire avancer ce récit, mais je sens que je suis gagnée par une profonde lassitude.
J’ai tout mon temps pour écrire. Je n’ai que cela, d’ailleurs, du temps! Et pourtant le découragement et l’exaspération commencent à bouillir en moi, car je voudrais faire mille autre choses plutôt qu’écrire.
Je ne parviens pas à me libérer des pensées incessantes qui me transportent autour du monde et en moi-même. Je ne parviens pas à me concentrer comme je le souhaiterai.
Je repense maintenant à cette phrase que j’ai lue, qui provient certainement d’un gourou du développement personnel, publiée sur une quelconque page des réseaux sociaux…

« Je peux me libérer à volonté, être mon propre créateur et mon propre guide. Ma croissance et mon développement dépendent de ce que j’ai choisi ou éliminé dans la vie. En moi-même sont les semences de ma future existence. »

C’est tout un programme !

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