dimanche 7 juin 2020

Log book # 78




«  Le roman est un travail d’exploration de l’existence. »

Milan Kundera

J’aime plus que jamais me retrouver seule dans le silence, le soir, après avoir fermé les volets de la maison.
Il m’arrive encore de m’ennuyer, de ne pas vouloir être seule, de ressentir le besoin de bavarder avec quelqu’un qui s’intéresse à moi. Mais j’avoue que ce sentiment s’estompe rapidement à mesure que les jours se suivent et se ressemblent tous.
Plutôt que d’essayer de communiquer avec des gens trop occupés ou trop distraits ou trop abstraits, je préfère de loin toucher de la main les plantes de mon jardin, caresser mes chats et passer mes journées à profiter de ne rien faire et à exaspérer quelques rêveries.
Bien sûr, la solitude est parfois encore très étouffante et l’envie me prend, pour de courts instants, de m’enfuir, à tout prix, n’importe où et d’atteindre un quelconque horizon.
Quand j’étais jeune, je n’avais presque pas d’amis. Je parlais peu, je lisais trop et trop vite, tout ce qui me tombait sous la main. Je vivais cloîtrée dans ma chambre.
Dans le petit village où j’ai grandi, je cherchais souvent, en vain, un sujet digne d’intérêt ou d’attention et, n’en trouvant pas, je me disais souvent, avec une rage qui allait presque jusqu’aux larmes : « Il ne m’arrivera jamais rien… ».
Les heures de mon existence me paraissaient tellement identiques et creuses, qu’elles semblaient prêtes à éclater sous la pression du vide.
De jour d’école engourdissant en jour de vacances mélancolique, de vague espérance de miracle en désir précis, de grands projets échafaudés en angoisse et découragements incontrôlables, à force de ne plus l’espérer, le miracle vint et s’offrit à moi comme un pays inconnu. Le rêve devint réalité. La date du départ était enfin fixée.
Durant cette période, je souffrais d’une sorte de dédoublement… Il m’arrivait de faire de grands projets, menés presque jusqu’à leur aboutissement et au moment précis où le résultat allait se produire, après avoir mobilisé toutes mes forces, je ressentais une frayeur mêlée de lassitude qui me faisait faire exactement ce qu’il ne fallait pas et mon entreprise échouait sur le champ, sans que je parvienne à éprouver le plaisir que je m’étais promis.
J’ai toujours eu beaucoup de difficulté à m’exprimer parce que je sens souvent les choses d’une façon embrouillée et de deux façons à la fois, totalement contradictoires.
J’allais finalement pouvoir mettre les voiles, changer ma vie, mais au fond de moi je craignais et désirais en même temps qu’elle changeât, car ce que je voulais vraiment, sans me l’avouer véritablement, c’est que tout demeurât dans l’ordre ; en réalité, la crainte d’affronter l’inconnu, de larguer les amarres et de prendre le large me causait aussi une peur et une angoisse extrêmes.
Alors, j’en arrivais presque à préférer continuer à évoluer dans mon décor habituel que j’abhorrais tant, avec les mêmes gestes et les mêmes routines, plongée dans une torpeur volontaire, continuer à me sentir « en dehors » de tout, en regardant la vie des autres et la mienne à travers une vitre embuée, comme si je vivais dans un décor de carton-pâte avec des personnages muets et articulés.
Il m’était très difficile à cet âge-là d’éclaircir et de débrouiller mes pensées et je me perdais à l’infini dans les conjectures, les menus détails, en partie parce que je ne parlais de mes projets à personne, je n’échangeais pas de confidences avec qui ce se soit.
Plus le malaise, l’inquiétude et la peur croissaient en moi et plus je me disais qu’il me fallait vite partir sans me retourner, même si cela me donnait le tournis.
Aujourd’hui, mon angoisse actuelle me rappelle celle d’autrefois.
J’ai toujours de puérils désirs d’aventure et de vies diverses. Je fais encore des rêves étranges. Je continue à sentir de la répugnance et de la colère contre les hypocrites et les gens de mauvaise foi et comme je n’éprouve toujours aucun intérêt pour les êtres humains que j’exècre pour la plupart, je vis seule et je ne compte pas beaucoup d’amis.
Je continue à détester l’échec sachant pertinemment que je n’ai pas réussi ma vie. Mon orgueil ne se remet d’ailleurs pas de cette blessure irrémédiable. Mon ambition est irréversiblement engourdie et je vis dans une totale indifférence de plante.
Je ne suis pas toujours gaie. Je ne peux rien y faire, j’ai beaucoup de raisons pour ne pas l’être, mais je n’y attache pas une grande importance.
Je m’efforce néanmoins désormais à prendre les choses comme elles viennent, sans trop me poser de questions.
Je passe le plus clair de mon temps à vaquer à d’ennuyeuses corvées ou bien je sombre dans une torpeur telle que rien ne peut m’en faire sortir.
Je ne cherche plus à échapper à la réalité, même si parfois il m’arrive encore d’avoir des absences subites ; je m’efforce, bien au contraire, d’y plonger, à bras le corps, avec délices, afin d’échapper à la foule de pensées sombres qui me traverse et à cette vie imaginaire stérile, qui ne comporte plus vraiment d’attraits pour moi.
Dehors, il fait gris.
Je regarde par la fenêtre et je me dis que j’aurais voulu être un arbre, ou même une pierre, simplement pour jouir de façon minérale des autres arbres, des autres pierres, du ciel, des odeurs de terre et de feuilles mouillées par la pluie, de la perfection des nuages.
Tout pourrait être si simple si je me plantais tel un arbre au milieu de la Nature !

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