« Le roman
est un travail d’exploration de l’existence. »
Milan Kundera
J’aime plus que
jamais me retrouver seule dans le silence, le soir, après avoir fermé les
volets de la maison.
Il m’arrive
encore de m’ennuyer, de ne pas vouloir être seule, de ressentir le besoin de bavarder
avec quelqu’un qui s’intéresse à moi. Mais j’avoue que ce sentiment s’estompe
rapidement à mesure que les jours se suivent et se ressemblent tous.
Plutôt que d’essayer
de communiquer avec des gens trop occupés ou trop distraits ou trop abstraits,
je préfère de loin toucher de la main les plantes de mon jardin, caresser mes
chats et passer mes journées à profiter de ne rien faire et à exaspérer
quelques rêveries.
Bien sûr, la solitude
est parfois encore très étouffante et l’envie me prend, pour de courts
instants, de m’enfuir, à tout prix, n’importe où et d’atteindre un quelconque
horizon.
Quand j’étais
jeune, je n’avais presque pas d’amis. Je parlais peu, je lisais trop et trop
vite, tout ce qui me tombait sous la main. Je vivais cloîtrée dans ma chambre.
Dans le petit
village où j’ai grandi, je cherchais souvent, en vain, un sujet digne d’intérêt
ou d’attention et, n’en trouvant pas, je me disais souvent, avec une rage qui
allait presque jusqu’aux larmes : « Il ne m’arrivera jamais rien… ».
Les heures de mon
existence me paraissaient tellement identiques et creuses, qu’elles semblaient
prêtes à éclater sous la pression du vide.
De jour d’école
engourdissant en jour de vacances mélancolique, de vague espérance de miracle
en désir précis, de grands projets échafaudés en angoisse et découragements incontrôlables,
à force de ne plus l’espérer, le miracle vint et s’offrit à moi comme un pays
inconnu. Le rêve devint réalité. La date du départ était enfin fixée.
Durant cette
période, je souffrais d’une sorte de dédoublement… Il m’arrivait de
faire de grands projets, menés presque jusqu’à leur aboutissement et au moment
précis où le résultat allait se produire, après avoir mobilisé toutes mes
forces, je ressentais une frayeur mêlée de lassitude qui me faisait faire
exactement ce qu’il ne fallait pas et mon entreprise échouait sur le champ,
sans que je parvienne à éprouver le plaisir que je m’étais promis.
J’ai toujours eu
beaucoup de difficulté à m’exprimer parce que je sens souvent les choses d’une façon
embrouillée et de deux façons à la fois, totalement contradictoires.
J’allais
finalement pouvoir mettre les voiles, changer ma vie, mais au fond de moi je
craignais et désirais en même temps qu’elle changeât, car ce que je voulais
vraiment, sans me l’avouer véritablement, c’est que tout demeurât dans l’ordre ;
en réalité, la crainte d’affronter l’inconnu, de larguer les amarres et de
prendre le large me causait aussi une peur et une angoisse extrêmes.
Alors, j’en arrivais
presque à préférer continuer à évoluer dans mon décor habituel que j’abhorrais
tant, avec les mêmes gestes et les mêmes routines, plongée dans une torpeur
volontaire, continuer à me sentir « en dehors » de tout, en regardant
la vie des autres et la mienne à travers une vitre embuée, comme si je vivais
dans un décor de carton-pâte avec des personnages muets et articulés.
Il m’était très
difficile à cet âge-là d’éclaircir et de débrouiller mes pensées et je me
perdais à l’infini dans les conjectures, les menus détails, en partie parce que
je ne parlais de mes projets à personne, je n’échangeais pas de confidences
avec qui ce se soit.
Plus le malaise,
l’inquiétude et la peur croissaient en moi et plus je me disais qu’il me fallait
vite partir sans me retourner, même si cela me donnait le tournis.
Aujourd’hui, mon
angoisse actuelle me rappelle celle d’autrefois.
J’ai toujours de
puérils désirs d’aventure et de vies diverses. Je fais encore des rêves étranges.
Je continue à sentir de la répugnance et de la colère contre les hypocrites et
les gens de mauvaise foi et comme je n’éprouve toujours aucun intérêt pour les
êtres humains que j’exècre pour la plupart, je vis seule et je ne compte pas beaucoup
d’amis.
Je continue à
détester l’échec sachant pertinemment que je n’ai pas réussi ma vie. Mon
orgueil ne se remet d’ailleurs pas de cette blessure irrémédiable. Mon ambition
est irréversiblement engourdie et je vis dans une totale indifférence de plante.
Je ne suis pas
toujours gaie. Je ne peux rien y faire, j’ai beaucoup de raisons pour ne pas l’être,
mais je n’y attache pas une grande importance.
Je m’efforce néanmoins
désormais à prendre les choses comme elles viennent, sans trop me poser de
questions.
Je passe le plus
clair de mon temps à vaquer à d’ennuyeuses corvées ou bien je sombre dans une
torpeur telle que rien ne peut m’en faire sortir.
Je ne cherche
plus à échapper à la réalité, même si parfois il m’arrive encore d’avoir des
absences subites ; je m’efforce, bien au contraire, d’y plonger, à bras le
corps, avec délices, afin d’échapper à la foule de pensées sombres qui me
traverse et à cette vie imaginaire stérile, qui ne comporte plus vraiment d’attraits
pour moi.
Dehors, il fait
gris.
Je regarde par
la fenêtre et je me dis que j’aurais voulu être un arbre, ou même une pierre,
simplement pour jouir de façon minérale des autres arbres, des autres pierres,
du ciel, des odeurs de terre et de feuilles mouillées par la pluie, de la
perfection des nuages.
Tout pourrait
être si simple si je me plantais tel un arbre au milieu de la Nature !
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