En novembre
1981, Georges Perec, dans l’émission radiophonique « mi-fugue, mi-raisin »,
propose une liste de « 50 choses à ne pas oublier de faire avant de mourir ».
L’écrivain est
mort quelques mois plus tard, le 30 mars 1982, d’un cancer du poumon. Il n’aura
pas eu le temps de réaliser les 50 choses qui ne seront que 37 en fin de compte.
« Pour commencer,
il y a des choses très faciles à faire. Des choses que je pourrais faire, dès
aujourd’hui. Par exemple, faire une promenade sur les bateaux mouche. J’ai
jamais été, depuis que je suis parisien, depuis ma naissance, j’ai jamais été sur
les bateaux mouche.
Ensuite, il y a
des choses un petit peu plus importantes, qui impliquent des décisions de ma
part, des choses dont je me dis que si je les faisais, elles me rendraient
peut-être la vie plus facile.
Par exemple, me
décider à jeter un certain nombre de choses que je garde sans savoir pourquoi
je les garde. Ou bien, un peu dans le même genre, ranger une fois pour toutes
ma bibliothèque. Trouver un système de classement efficace, fonctionnel que je
n’ai plus besoin de remettre en question. Ou bien faire l’acquisition de divers
appareils électroménagers … une machine à laver la vaisselle, une machine à
laver le linge. Je me suis servi récemment, pour la première fois de ma vie d’une
machine à laver le linge et c’est très commode. Ou bien, il y a des choses qui
sont liées à des désirs plus profonds de changement. Par exemple, m’habiller d’une
façon tout à fait différente. Me remettre à porter des cravates. Je crois que j’ai
jamais pratiquement porté de cravates de ma vie. Me faire confectionner un
costume trois pièces avec un gilet. Il faut voir un peu ce que ça ferait si je
changeais complètement de vêture.
Une chose que j’aimerais
beaucoup faire aussi, c’est aller vivre à l’hôtel, à Paris. C’est-à-dire me
mettre en... c’est un mode de vie. Tout en vivant à Paris, vivre à l’hôtel. J’y
ai souvent pensé.
Ou bien dans un domaine
complètement différent, opposé, vivre à la campagne.
Ce que je n’ai
jamais fait non plus de manière très régulière ou alors ça je pense que j’aurais
quand même l’occasion de le faire, c’est aller vivre pendant assez longtemps,
un an ou deux, dans une grande ville étrangère, par exemple, à Londres ou à
Zurich ou à Rome. J’ai assez envie d’aller à Londres.
Ensuite, il y a des
choses qui sont liées à des rêves de temps ou d’espace, c’est un gros bloc. Il y
a un rêve qui est de passer par l’intersection de l’équateur et de la ligne de
changement de date. Un des points les plus curieux… le méridien de Greenwich,
de l’autre côté. Et qui est en plein Pacifique. C’est pas impossible au cours d’une
croisière. Un peu dans le même genre de choses… aller au-delà du cercle polaire
ou jusqu’au cercle polaire.
Il y a des
choses un peu plus difficiles après. Vivre une expérience hors du temps, ce qu’on
appelle vivre en libre cours c’est-à-dire dans une grotte ou dans un… sans
point de repère du temps…
Un peu dans le
même genre, faire un voyage en sous-marin. Faire un voyage sur un navire. J’ai déjà
fait un voyage de six jours sur un cargo et j’aimerais par exemple revenir d’Australie
en bateau, mais ça prend beaucoup de temps. Faire une ascension ou un voyage en
ballon ou en dirigeable. Aller aux îles Kerguelen.
À cause du nom, à cause de l’éloignement, de ce côté perdu, piton rocheux. Ou alors
ça pourrait être Tristan da Cunha, un nom qui me plait beaucoup.
Une chose que je
ne sais pas si on peut le faire, mais qui fait référence à une carte postale
que j’ai reçue un jour, qui est aller du Maroc à Tombouctou, à dos de chameau,
en 52 jours.~
Dans le sud
marocain, il y a quelque part une affiche où on voit Tombouctou 52 jours (…).
Ensuite, une des
choses que je voudrais avoir le temps de bien découvrir, encore une fois, c’est
souvent des voyages ou des musées. J’aimerais aller dans les Ardennes. J’aimerais
beaucoup me promener, apprendre à chercher des champignons, regarder les forêts.
C’est une région très belle et qui me plairait beaucoup.
J’aimerais aussi
aller à Bayreuth pour le festival. C’est le genre de projet que depuis
longtemps, je dis… l’année prochaine, je vais faire le voyage à Bayreuth et
puis il faut s’inscrire au moins un an à l’avance ou peut-être même deux ans. Si
c’est pas Bayreuth… Prague ou Vienne, ou au Prado.
Quelque chose
aussi que j’aimerais bien faire, c’est boire du rhum trouvé au fond de la mer,
comme le capitaine Haddock dans le Trésor de Rackham le rouge. Il y a un galion
qui a coulé au XVIIe siècle, avec une cargaison de rhum et puis on va chercher
le trésor mais avant de trouver le trésor, on commence par remonter les
bouteilles et puis on boit le rhum de 1650.
Avoir le temps
de lire, par exemple, Henry James. Il y a tellement de livres que j’ai pas lus,
et dont je sais que j’y trouverais beaucoup de choses. Henry James, c’est un
gros morceau car il a plein de livres.
Voyager sur les canaux,
en chaland, en péniche. Faire un voyage en France.
Ensuite, il y a
un bloc qui est un bloc d’apprentissage. C’est des choses que j’aimerais
apprendre mais je sais que je vais même pas essayer parce que ça prendrait trop
de temps ou que je n’y arriverai même pas ou j’y arriverai imparfaitement.
La première
chose, c’est la plus simple. Il faudrait je pense que trois ou quatre jours pourraient
suffire en m’y appliquant. Trouver la solution du cube hongrois. Vous savez, le
cube à six couleurs qu’il faut… on m’en a offert un il y a un an. J’ai déjà perdu
pas mal d’heures avec ça. Mais j’étais arrivé à des ébauches de solutions, sauf
qu’arrivé au 2e étage… je me rendais compte qu’il fallait que j’oublie
tout ce que j’avais déjà acquis. Alors là, il y a un problème d’agilité d’esprit,
en plus comme je confonds la droite et la gauche. Ça ne simplifie pas du tout.
Apprendre à
jouer de la batterie. Parce que j’ai l’impression que c’est un peu plus facile
que le saxophone ou… faire du jazz. Enfin, ça je crois que c’est même pas la
peine d’y penser non plus. Apprendre une langue étrangère. Le plus simple
serait l’Italien. Et là aussi, j’ai l’impression que je pourrais arriver
imparfaitement à le lire, à le baragouiner, mais l’idée ce serait pour lire
Dante en italien et ça je crois que c’est pas possible.
Apprendre le métier
d’imprimeur. Ça je l’ai presque fait un petit peu. J’ai participé à la
fabrication d’un livre. J’ai fait plusieurs choses en autoédition, mais faire
de l’imprimerie professionnellement je trouverais ça extraordinaire. Mais ça
prend beaucoup de temps. Et puis aussi, faire de la peinture. Faudrait oser. C’était
ce que je voulais faire au début, avant de vouloir être écrivain. J’envisageais
d’être peintre et puis il y a des choix. Il est difficile de revenir. Je sais
que Michaux l’a fait, mais il a commencé avant 45 ans. Rien de tout ça n’est impossible
pour l’instant.
Ensuite, il y a
des choses qui sont liées à mon travail d’écrivain, alors il y en a beaucoup. J’en
ai choisi un certain nombre. Ça ce sont des choses qui sont plus que des choses
que j’aimerais faire comme ça dans le vague, ça correspond à des projets. Des projets
pas encore passés au stade de la réalisation. Il y en a qui ne dépendent que de
moi. Par exemple, écrire pour de tout petits enfants. Des enfants qui ne savent
pas lire. Qui ont entre six mois et quatre, cinq ou six ans. Des enfants à qui
les parents lisent des histoires le soir mais qui seraient des histoires pour
les enfants, pas pour les parents.
Ensuite, écrire
un roman de science-fiction. J’ai adoré la science-fiction, il y a une vingtaine
d’années puis j’ai arrêté d’en lire. J’en relis maintenant un tout petit peu,
mais c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup comme genre littéraire.
Il y a d’autres
choses qui ne dépendent pas de moi, qui dépendent de demandes qu’on pourrait me
faire. Par exemple, j’aimerais écrire un scénario de film d’aventure dans
lequel on verrait 5000 kirghizes cavaler dans la steppe. Un scénario pas
limité. Un film un peu grandiose pas nécessairement James Bond mais un film d’aventures
où on aurait les moyens de rêver à des choses superbes au cinéma.
Écrire un vrai
roman feuilleton qui paraitrait tous les jours dans un journal et je fournirais
ma copie. Avoir une espèce de canevas, travailler comme un dessinateur de BD. C’est
pas du tout impossible.
Ecrire des
chansons. C’est des choses qui risquent de rester très vagues. Il faudrait qu’il
y ait une commande.
Planter un
arbre, évidemment pour le regarder pousser et enfin, deux choses impossibles aujourd’hui
car elles impliquent des gens qui sont morts. J’aurais aimé me saouler avec Malcolm
Lawry et puis faire la connaissance de Vladimir Nabokov. Je suis arrivé à 37. J’ai
décidé qu’il y en avait 37. »
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