À l’époque où j’étudiais
les Langues et la Littérature, à l’Université de C., j’ai rencontré, lors d’une
soirée en boîte, un garçon, étudiant lui aussi, pour qui rien qu’en le
regardant j’ai ressenti immédiatement un profond mépris et une envie très forte
de lui faire du mal.
Je n’éprouvais vraiment aucun intérêt pour lui, mais son empressement, niais et assidu, finît par
aiguiser ma curiosité.
Maintenant que trente
années se sont écoulées et que ma jeunesse s’est enfuie à tout jamais, je crois
pouvoir affirmer que je haïssais ce garçon instinctivement et lorsque je
repense à mon comportement envers lui à cette époque, j’éprouve quelques
regrets.
En y réfléchissant,
c’est probablement poussée par un instinct destructeur et d’avilissement que j’ai
accepté de sortir avec lui. J’éprouvais un plaisir pervers à cette dégradation
physique, mêlée de mépris pour moi-même et mon corps et d'un dédain irrépréssible envers ce pauvre bougre que je trompais dès le premier instant.
Quant à lui, il se
comportait en toute occasion comme un chien battu et tournait vers moi, qui le brimait
et le houspillait systématiquement, des yeux suppliants et malheureux qui redoublaient
ma satisfaction à torturer ma proie.
Très vite pourtant l’euphorie du bourreau cynique que j’étais tomba à pic et mon plaisir de chasseur tortionnaire cessa. Tout en
lui devînt à mes yeux répugnant au plus haut point et je lui signifiai la
rupture.
Il implora,
téléphona, écrit des missives, me guetta à l’université, mais face au mur de
pierre que j’étais devenue, le pauvre type abandonna la partie.
C’était ma toute première
victime et il m’arrive encore de penser à lui comme un insecte mort pris dans
une toile d’araignée.
Quelques années
plus tard, j’épousai un homme gentil et heureux. Le plus banal des hommes. Je voulais
en épousant cette normalité, me prouver à moi-même que j’étais capable de
supprimer ce mauvais instinct destructeur, tapi au plus profond de mon cœur,
comme on efface un tableau noir avec un chiffon humide.
Je voulais
devenir une banale femme au foyer, fonder une famille, enterrer dans la
normalité ma vraie personnalité, capricieuse, perverse et égoïste et remplir le
vide qui m’habitait.
Nous fûmes,
pendant quelques années, des fiancés modèles, mais petit à petit la vie
commune, banale et monotone provoqua chez moi une telle lassitude et un tel dégoût
que je n’avais plus prise sur l’exaspération emmagasinée dans mon cœur et mes
crises de rage fréquentes, n’étaient que les premiers symptômes d’une nouvelle
vague de destruction qui s’annonçait très vite.
Je me mis aussitôt
à regarder ailleurs et je compris alors que j’étais incapable d’aimer
réellement autrui. J’étais sèche et stérile comme le désert. Il n’y avait pas d’amour
en moi. J’étais éteinte. Mon cœur était froid et dans mon âme régnaient les ténèbres,
une obscurité aussi profonde que le fond d’un puits. J’étais fatiguée de feindre.
La vie est remplie
de choses incompréhensibles. Tant d’événements imprévisibles ou inexplicables
traversent notre existence.
L’impression qui
me reste lorsque je regarde en arrière et que je me penche sur ma vie passée, c’est
qu’elle ne s’est jamais déroulée selon ma volonté.
Une force
invisible m’a toujours poussée vers l’obscurité et la destruction, parfois même
l’autodestruction.
Et malgré mon
âge avancé, je me pose encore aujourd’hui les mêmes sempiternelles questions :
Qu’est-ce que l’amour
au juste ? Qu’est-ce que je veux vraiment? Partir au loin ? Trouver
quelque chose de solide ? Connaître enfin la liberté ? Vivre la vraie
vie ?
Dissiper la
solitude ? Ne plus éprouver ni
haine, ni colère ?
Cette
interruption forcée dans mon existence qui est à l’arrêt, pour un temps
indéterminé, m’oblige à sonder les profondeurs de mon âme solitaire, tout au long
de ces jours devenus subitement vides.
À un certain
moment, je pense qu’il me faudra partir.
En regardant
bien,
Les capselles
derrière la haie
Sont écloses
Bashô
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