dimanche 24 mai 2020

Log book # 65




« Man starts over again everyday, in spite of all he knows, against all he knows. »
Emil Cioran

On parle souvent de la « bonne fatigue ». Celle qui nous permet de mollement nous abandonner à la volupté d’un sommeil réparateur lorsque le corps réclame ses droits.
Depuis des semaines voire des mois que mon corps, rendu inutile par la maladie n’a plus souvenir de cette mollesse qui soulage aussi l’esprit et lui permet de vivre plus facilement, sans inquiétude ni insatisfaction.
Mon impatience, déjà légendaire, est croissante. Une obscurité profonde s’empare des tréfonds de ce corps disloqué et de ce cerveau torturé, infiniment lâche, qui gémit à mesure qu’il se désintègre.
Le soleil apparaît chaque jour et pourtant j’ai froid et je frissonne. Dans ma chambre, il fait un froid sibérien.
La plupart des jours, je ne parviens plus à sortir de mon lit. Je suis pâle et maigre comme la Princesse Olympie. Mon sang a probablement été sucé par un vampire durant la nuit. Mon estomac ne retient plus rien, mes intestins non plus. Mes bras et mes jambes sont contractés par la douleur. Je peine à respirer. La maladie et la souffrance ont drainé toute mon énergie vitale.
Les relations humaines sont devenues une contrainte et m’exaspèrent au plus haut degré.
J’ai toujours éprouvé de fortes difficultés à communiquer avec autrui, que ce soit au travail ou ailleurs, maintenant ça s’est aggravé. Les choses ont empiré et je fais le vide autour de moi.
Un vide qui est plus que de la solitude. C’est comme si je vivais seule sur la Lune.
Les jours, vides de toute stimulation extérieure, puisque je reste indéfiniment confinée, se succèdent interminablement. J'empile du vide sur du vide.
Je ne parviens plus ni à travailler, ni à lire… l’unique effort de l’écriture m’éreinte lui aussi et épuise mes faibles forces, à tel point que bientôt je devrai également y renoncer.
Je compte les heures, les jours, les semaines, les mois qu’il me reste encore à vivre. Et je regarde en arrière. Une ombre gigantesque s’étend désormais sur mon existence. La mort pénètre insidieusement dans mon corps.
Mon existence, en rétrospective, n’est rien d’autre qu’un enchaînement d’événements, porteurs de destruction.
J’ai tantôt détruit, et tantôt été détruite. La plaie béante qui s’ouvre comme une fleur, sur mon bas ventre, le prouve et je dois la cautériser à froid dès qu’elle s’ouvre de nouveau. Les douleurs sont atroces et la cicatrisation peine à se faire.
Je suis désormais en attente, dans l’antichambre de l’Enfer, où une horloge déréglée sonne à n’importe quel moment du jour et de la nuit.
Ici, je ne peux ni boire, ni manger, ni dormir. Je suis inquiète. J’ai peur, maintenant que je suis sur le point de décoller, de quitter la terre. Je suis prise d’une peur ancestrale, viscérale, irraisonnée, celle que les grecs appelaient la panique.
J’arpente le plancher nerveusement pendant quelques minutes, puis je m’affale, sur ma couche, à bout de forces.
Le réveil indique deux heures du matin. J’étais en plein rêve. Il me faut sortir de ce labyrinthe étroit. Je dois m’enfuir. Je marcherai vingt fois autour du monde s’il le faut.  Il me faut vraiment commencer à vivre « autrement ».
Le monde extérieur existe-t ’il encore ? La première chose à faire est d’aller voir si les choses et les gens sont encore là.



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