mardi 12 mai 2020

Log book # 54




« Mais si je prends de ce plaisir avec tant de prudence et de circonspection, ce ne sera pas tant un plaisir pour moi. »

Lope de Vega

J’ai sans aucun doute un tempérament bilieux. Je suis souvent fort adonnée à la haine et à la rancœur.
Je poursuis inlassablement mes projets de vengeance, puis je les laisse retomber à plat, tellement je m’aperçois de mon malheur intérieur.
Je suis de guerre lasse et je ne suis méchante que parce que je suis malheureuse. J’aspire à une nature morne et sèche ; une sensibilité sotte me donnerait certainement de la contenance.
Aujourd’hui, je suis horriblement fatiguée. Mes mains tremblent un peu alors que j’écris ces quelques phrases.
Ce log book est devenu une sorte de journal de siège. Toutes les idées vaines et vulgaires qui me traversent l’esprit finissent ici recouvertes d’un voile. Mon imagination est à la dérive. Je me sens pour ainsi dire portée vers le lointain. Je suis un être à peine animé. Mes yeux dans le miroir ont perdu tout leur feu.
Je crains de devenir une vraie maniaque – moi, qui garde d’habitude la tête si froide, je suis descendue à un état de déraison complet.
Malgré mes efforts, je manque de fermeté en toute chose. L’effort ultime que je m’impose pour paraître tout à fait normale absorbe toutes les forces de mon âme. J’aspire de tout mon être à un calme affranchi de toute vive émotion. Je veux fuir cette ivresse morale, ce trop plein de sensibilité qui me nuit à chaque instant.
Je ne parviens plus à trouver le sommeil. Mes traits témoignent de mon abattement physique. Ma vie est devenue ennuyeuse à périr. Puissé-je le faire et je commettrais presque un crime pour me distraire de ma vie !
Un des moments les plus pénibles est celui où chaque matin, en m’éveillant, je reprends contact avec le réel, avec mon malheur actuel.
Tout le redouble, même la simple vue de ma chambre m’est devenue insupportable. Mes journées se passent dans l’inaction la plus absolue. Je m’ennuie infiniment. Ma vie de tous les jours est totalement insipide, c’est à en hurler aux loups !
Tout l’ennui de cette vie sans intérêt que je mène, tout ce temps usurpé et gaspillé… mon âme est en proie à de violents combats qui achèvent de lui ôter toute ambition.
Ce n’est qu’à force de raisonnement et de force de caractère que je parviens à me maintenir un peu au-dessus du désespoir alors que j’avais cru pourtant l’avoir déjà vaincu.
Mais bien souvent, hélas, tous ces beaux raisonnements sont sans effet contre l’affreuse réalité de cet exécrable confinement qui s’éternise.
Pourquoi suis-je redevenue moi de nouveau ?
Mon esprit s’est remis à tout craindre. Au fond de mon cœur aucune jouissance réelle. Quel ennui intolérable !
Tous mes démons sont revenus frapper à ma porte, il me faut réunir mes forces et les subjuguer de nouveau !



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