« Mi piace
lasciar scorrere la penna dove l’istinto mi comanda. (…) dovrei arrivare a un
momento veramente doloroso per la mia memoria, che spiegherebbe perché di colpo
ho cancellato tante cose. »
Umberto Eco, Il
Cimitero di Praga
Le grand bonheur
est-il désormais improbable ?
L’innocence et
la fraîcheur de ma jeunesse sont irrémédiablement perdues.
Je me suis définitivement
brouillée avec mon passé. J’aimerais même presque changer de nom puisque j’ai brillamment
changé de manière et de style.
J’ai coupé la
parole et le souffle à la jeune enthousiaste un peu rebelle, un peu gauchiste
anarchiste, très facilement, un peu comme on coupe le courant.
Je n’irai pas
jusqu’à la condamner au couperet de la guillotine et faire rouler sa tête dans
la poussière, son esprit original et inattendu la sauvera encore de cette fin
sanglante et indigne, mais son insoumission, qu’elle a trop longtemps dissimulée
sous les apparences hypocrites de l’enfant faussement sage a trop de feu
encore. Elle connaîtra dorénavant la punition.
Trêve de bêtises
jeune oiselle indignée. Tu as sept vies comme les chats !
Pour échapper au
désastre du temps, pour durer et avoir le goût entier des jours que tu vis, il te
faut maintenant te garder des chauds et des froids, des courants d’air, de l’actualité,
des balles perdues, du coronavirus… Il te faut devenir de marbre ou nuage…
Tu es ridicule,
périmée, défraîchie pour toujours, toi qui te croyais spéciale et énergique. Tu
seras froide et impersonnelle et c’est tant mieux !
Sors de ta
grotte, de ce refuge creux trop chaud, trop paisible, trop ennuyeux et commence
l’aventure de vivre finalement, petite sotte !
Dès ma première
enfance, j’ai connu des moments d’exaltation.
J’étais sans
aucun doute une âme passionnée et je me consolais de mes malheurs, que je
croyais grands, en m’évadant à travers mes lectures.
Je dévorais avec
ardeur tous les livres sur lesquels je pouvais mettre la main, aussi bien en
les empruntant à la bibliothèque de l’école qu’à la bibliothèque municipale,
plus tard. Ou bien j’insistais, jusqu’à l’épuisement, auprès de mes parents,
pour qu’ils me les achètent, ce qui n’était jamais une mince affaire.
Adolescente, le
feu de la passion dévorait sérieusement mon âme.
J’étais sombre
et solitaire et invinciblement timide. Je construisais mentalement tous les
châteaux en Espagne possibles. J’étais profondément incomprise. Je ne me
comprenais pas moi-même la plupart du temps.
Je mourrais d’ennui.
La lecture était mon seul plaisir et ma seule possibilité d’évasion du carcan
familial étriqué et de mon quotidien monotone et stérile.
Naïve et
innocente, j’étais absorbée par des passions successives et inabouties, sans me
rendre compte de la duperie profonde de ce bonheur cherché par les sots et les
faibles.
Le simple
plaisir d’exister était ainsi terni par un surplus de sensibilité maladive et tumultueuse
que je ne parvenais pas à contrôler, et je sombrais fréquemment dans un
découragement profond.
Je n’avais
aucune expérience de la vie. Je vivais en solitaire, n’ayant pas beaucoup d’amis,
et mon imagination et mes pensées romanesques m’engloutissaient dans une sorte
de monde parallèle où le réel n’avait pas prise.
J’avais, certainement,
en cette période de ma vie, une pureté et une candeur de l’âme, ainsi qu’une
absence d’émotions haineuses propres à la jeunesse.
Je pensais
beaucoup, déjà à cette époque, et penser fait souffrir, comme on le sait.
J’avais des sautes
d’humeur très fréquentes et de vrais moments de désespoir causés par mes
passions inassouvies.
Aujourd’hui, alors
que j’ai finalement atteint une forme de maturité vieille, je passe des jours
et des semaines solitaires sans dégoût, ni tristes pensées.
Dans cette
maison isolée, au bord de la mer, fustigée par le vent du nord, je lis, j’écris
et je réfléchis, sans être troublée par les autres, par leurs propos hypocrites,
par leurs tracas mesquins et leurs imbécilités dociles et niaises.
Le bonheur était-il
si près de moi que je l’ai enfin reconnu ?
Je suis tel un
grimpeur qui vient de gravir une montagne et s’assied au sommet, trouvant un
plaisir parfait à enfin se reposer.
J’aime la
musique, la peinture, et un bon livre est toujours un événement pour moi.
Que me reste-t
’il à vivre ? Quinze, vingt, trente ans tout au plus !
Je ne supporte
plus cette comédie bouffonne perpétuelle, à laquelle nous oblige la
civilisation, la société mondaine.
J’ai soif de
simplicité.
Le nil mirari
(« jamais d’enthousiasme ») d’Horace me convient à merveille.
Oui, voilà tout !
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