Nous sommes en
plein été.
Le matin, de
très bonne heure, normalement, je me mets à travailler si le cœur m’en dit. Lorsque
je ne me sens pas d’humeur à me mettre à écrire, j’édite de vieilles photos ou
je cherche des articles, dans la presse online, susceptibles de m’intéresser et
que je lis immédiatement ou que je laisse pour plus tard.
Sinon, je m’allonge
sur ma chaise longue, dans le jardin, à l’ombre de mon citronnier et je bouquine
ou tout simplement je paresse là pendant des heures, rêvassant, le livre sur
mes genoux. Parfois, il m’arrive aussi de somnoler quelques instants, surtout
si je n’ai pas suffisamment dormi la nuit précédente.
Autrefois, j’avais
des passe-temps dignes de ce nom, maintenant, je végète oisivement la plupart du
temps.
Mes relations
avec le monde extérieur sont très limitées, presqu’inexistantes, pour parler
franchement. Ce que je ne regrette en rien, à vrai dire. Ces relations étaient déjà
tout à fait maladroites et convulsives bien avant que ne surgisse ma maladie et
la pandémie.
J’ai sacrifié
pas mal de gens autour de moi qui me sont devenus tout bonnement insupportables.
Disons, pour clore le sujet, que ces événements dramatiques ont précipité la
chute de quelques êtres que j’avais à tort considérés dignes et qui m’ont déçu au
plus haut point et brisé le cœur.
Je souffre de
crises sporadiques à l’épaule droite. La douleur commence par s’annoncer, au
réveil, comme une brume dans les profondeurs de mon épaule, puis vient la crise
aigüe.
Ce matin, je
dois terminer une traduction qui m’est réclamée depuis hier et je pars. J’ai
pris la décision hier au soir. Je pars à l’improviste, pour un voyage
solitaire. Je prendrai le volant et je roulerai le long de la côte et je ne m’arrêterai
que lorsque la fatigue ne me permettra plus de continuer.
A mesure que je
roule, je revois dans ma tête les flash-back, les images de ma vie passée et de
tous mes autres voyages. Je m’aperçois que c’est la première fois que je voyage
seule. Ça doit être là le présage d’une maturité accomplie.
La désillusion
et l’ennui n’ont plus aucune prise sur moi. Je ne sombre plus dans ces états de
solitude, cette mélancolie qui me ravageaient le cœur comme cette pandémie qui a
ravagé notre planète.
La haine, la
jalousie, la rancœur, la passion même n’éveillent en moi plus aucun intérêt. Les
cadavres de mes passions passées sont bien conservés dans la chambre froide qu’est
devenu mon cœur, en attendant que je sois en mesure de leur faire un éloge
funèbre.
Cette insensibilité
m’est fréquemment reprochée et aussi de ne pas avoir une pensée structurée et d’être
foncièrement incohérente et insincère. Je vous l’accorde.
Disons, à cet
égard, que tout bonnement je suis devenue une fervente croyante en la doctrine
qui professe le bannissement de la pensée à cause de sa stérilité notoire.
J’ai décidé de
ne plus être prisonnière de ma pensée, ni de ma haine, ni de ma rancœur. J’aspire
à cette douce résignation de l’esprit qui accepte sans trop broncher le cours
naturel des choses.
Dernièrement, ma
seule échappatoire aux menus tracas quotidiens est mon carnet. Je le rédige en
français, car j’estime que c’est la langue dans laquelle je m’exprime le mieux.
Certains jours,
je m’épanche sur plusieurs pages. J’y raconte la vérité toute nue, sans aucun
talent, ni originalité, mais avec beaucoup d’objectivité, raison pour laquelle
je bannis toute forme de sensiblerie.
Pour la première
fois, depuis de très longs et pénibles mois de confinement, j’y parlerai de mon
voyage.
La route qui
mène jusqu’à la petite ville côtière, où j’ai finalement décidé de séjourner
quelques jours, longe la mer à plusieurs reprises. La mer, au loin, brille de
mille feux. Une douceur calme envahit mon corps fatigué.
Il n’est pas
encore midi. Le modeste petit hôtel, désuet et charmant à souhait, que j’ai
choisi pour mon séjour se trouve sur le haut d’une falaise surplombant la mer. Au
loin se dessine la ligne indigo de l’horizon.
Je suis
étrangement séduite par cette vision. Un petit vent marin très agréable vient
mitiger cette chaleur moite de l’été. On entend aussi la stridulation des
cigales. C’est un magnifique panorama !
On me laisse m’installer
dans ma chambre bien avant l’heure prévue. Je prends vite une douche avant le
déjeuner. Je retrouve ma fraicheur. Ça me rend gaie et ça me calme. Il faut
maintenant que je réussisse à me reposer quelques heures avant d’aller sur la plage.
Quel chemin
suivre pour descendre jusqu’à la plage ?
Un petit
escalier en bois zigzagant descend le long d’une escarpe de la falaise, là où
la pente est plus douce, et traverse un petit bosquet de pins. La lumière est
filtrée par la cime de ces arbres. Le chant strident des cigales ressemble à
des cymbales.
J’arrive enfin
sur la plage qui constitue un lambeau de sable, un couloir étroit au pied de la
falaise. C’est peut-être pour cela qu’il n’y a personne sur la plage tellement
difficile d’accès et si étriquée.
Epuisée par la
descente, je m’allonge sur ma serviette de bain en pensant que mon désir d’évasion
est comblé. La vaste mer ondoyante me guérit et me purifie. Elle me pénètre et
semble même teindre en bleu l’intérieur de mon corps. Quelle plénitude !
L’odeur des embruns,
les vagues qui déferlent incessamment, tout me réjouit au plus profond de mon
âme et me met de bonne humeur.
Cette beauté, ce
bonheur total m’impose le Silence !
Et pourtant,
dans mon esprit, les pensées reprennent leur course interrompue seulement pour
de brefs moments. Je repense à ma jeunesse. Cette jeunesse qui nous fait
souffrir de mille promesses, de mille espoirs et d’autant de désespoirs et de
désillusions ! L’inexpérience de la
jeunesse, cette naïveté, cette ingénuité qui nous mène à formuler l’unique vœu de
connaître un jour le bonheur, en plein soleil, sans trop savoir à quels
plaisirs et déplaisirs cela nous renvoie.
Il est tard à
présent. Ma fenêtre est ouverte sur la mer, le ciel constellé. J’entends le
roulis des vagues au loin…
Je m’imagine
courir sur la falaise qui surplombe la mer, dévaler les escaliers de bois. Je m’enivre
de cette idée. J’éprouve un intense plaisir. Une sensation de liberté absolue. Oui,
maintenant, je sais que tout est possible.
J’ai sommeil. Je
baille. J’espère faire un rêve heureux.
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