Ma mère a de beaux yeux verts, alors que
moi, mes yeux me viennent de mon père.
Je suis née
dans un pays pierreux et désertique, balayé par la neige, en hiver, et une
chaleur africaine, en été, un vrai Sahara, chauffé à blanc.
Dans l’utérus
de ma mère, encore en gestation, je reçus pas mal de messages chiffrés, dont la
traduction terrestre était atroce et ce que je porte en moi – après avoir survécu
à plusieurs tentatives d’assassinat - de congénital, était déjà imprimé dans ce
code hideusement fabuleux.
Au long de
mon existence, j’ai vécu plusieurs solitudes extrêmes et j’ai sombré dans de
longues périodes d’amnésie, mais aucune ne peut égaler ces deux mois passés,
dans l’isolement quasi absolu.
J’ai perdu à
cause de ce grand confinement, non seulement, mon travail, qui est mon unique
source de subsistance, mais aussi le fil de ma vie.
Je chute désormais,
à tout instant, dans le vice morbide du sommeil, à la recherche de l’oubli. Mes
yeux sont perpétuellement enflés et mes assoupissements m’apportent,
invariablement, des rêves délirants, futiles et sombres.
La nausée est
constante quel que soit l’aliment choisi, ainsi que le goût d’acier corrosif
dans ma bouche.
Je vis chichement,
puisant dans mes économies, n’ayant plus de revenus assurés et le futur, quand
j’y pense, m’apparaît comme une ligne de chemin de fer aux rails tordus ;
au bout de laquelle il n’existe nulle promesse, ni espérance.
La tentation
du voyage, un peu évanouie, m’envahit, de nouveau puissamment, malgré mon
écroulement et la faiblesse de mes moyens financiers… peut-être pourrais-je
encore faire un dernier voyage. Je dois réfléchir à la destination.
Certains
professent que, par une loi organique qui nous est propre, dès le début, avec
notre vie, nous choisissons notre façon de mourir. Nous le portons, écrit,
indélébile, jusqu’à l’intérieur de chacune de nos cellules.
Le cancre et
le confinement ont provoqué un tsunami dans ma vie et le délabrement de mon
système nerveux est désormais perceptible.
Je vis comme une
« forme » hébétée et je n’aspire plus qu’à sombrer dans un sommeil
magique qui me suspende en vol ou parvienne à me dissoudre.
Je sens
remonter, inexorablement, jusque sous ma peau, depuis les bas-fonds de mes névroses,
la sensation d’une indifférence universelle à ma destinée.
Il me vient à
l’esprit l’idée fantasque d’une faculté excentrique : si seulement je
pouvais changer de peau comme un serpent, me dépouiller, petit à petit, de ce
corps vétuste et meurtri et réincorporer un corps sain et bien portant.
Mais ce ne
sont là que des tentatives absurdes et ridicules d’évasion. Les tentatives
répétées pour sortir de ma vieille peau se résumeraient très vite à des contorsions
grotesques.
De l’extérieur
aussi, je n’attends rien d’autre que de l’indifférence et je ne veux rien d’autre.
Je suis même
plutôt gré à mes semblables de cette indifférence, qui me permet de continuer à
exister comme une ombre insensible.
La cloche de
l’église a sonné les heures sans que je m’avise de compter les coups.
Il me vient
une envie soudaine d’aller à Valence manger une vraie Paëlla ! Voilà la
destination de mon prochain voyage. Mais mieux vaut ne pas bâtir trop de châteaux
en Espagne, il me faudrait des semelles de vent pour arriver à cette ville.
La nuit vient
de finir.
Une nouvelle
journée de pénitence et d’ennui insensé commence.
Les yeux me
brûlent.
J’éteins la
lampe de chevet et je me lève pour remonter les stores vénitiens.
Un oiseau
frétillant vient de se coller à la fenêtre de ma chambre.
La Nature
foisonne de vie !
Cela m’enchante
et j’en exulte secrètement, à chaque instant.
Je me dépouille,
finalement, pour un rare moment, de ma carcasse, alors que j’accompagne le vol
de l’oiseau.
Mes yeux
fixent, inertes, le paysage verdoyant qu’encadre la fenêtre.
Je m’évade.
J’échappe à
la claustration de ma chambre de malade, de mon espace intérieur étriqué.
La journée s’annonce
chaude et ensoleillée.
Je prévois de
lire un livre et je renoue, en même temps, avec cette phase de ma vie, qui
commença avec la découverte des livres et dura jusqu’à l’Université et encore
un peu après, jusqu’au moment où elle cessa presque.
Le vertige du
sortilège de la lecture me reprend de plus belle et je repense à la promesse d’aventures
et à l’envie démente d’évasion et de surprise qui, jadis me venait des pages des
bouquins neufs, que mes parents rechignaient à me payer et pour lesquels j’ai
appris à lutter infailliblement.
Je plonge
dans Il Cimitero di Praga, de Umberto Eco.
Bonne
journée.
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