vendredi 1 mai 2020

Log book # 44




Au beau milieu de la nuit, la « forme » émerge, invariablement, telle une insomniaque chronique.
Elle va prendre une douche. Elle aperçoit son reflet dans la buée du miroir de la salle de bains et elle se sourit. 
Son corps ressemble maintenant à une épave fendue en deux, échouée sur la rive, fustigée par les rouleaux de l’océan.
Ensuite, elle s’étend sur le lit, durant des heures, enveloppée dans une serviette éponge. 
Une langueur bienfaisante s’empare de son corps et la berce malgré une détresse diffuse qui lui brouille l’âme. Ella a dans la bouche un goût métallique corrosif .
Combien de jours encore devra-t ’elle rester confinée ? 
Cela fera exactement cinquante jours demain qu’elle tourne en rond, comme un fauve en cage.
Elle se lève, soudain, et prend les tempes à deux mains. Sa tête résonne, assourdie par le bruit du sang dans ses veines. 
Elle a du mal à maintenir l’équilibre et finit par trébucher et se vautrer sur le tapis.
Elle reste là immobile pendant des heures, jusqu’à ce qu’elle commence à trembler de froid. 
Elle se relève et se remet sur pied. 
Elle parvient à aller jusqu’à la cuisine où elle mange un fruit. 
Elle a probablement souffert d’une chute de tension. 
Il faut surtout qu’elle garde son sang-froid.
Depuis des jours et des semaines, le désœuvrement la tue à petit feu.
La réalité court à son rythme lent, s’effiloche et lui échappe des mains.
Elle est devenue la femme invisible, privée d’identité. Une « forme » difforme et décolorée. Elle est très amaigrie, osseuse, le visage couvert de rides, les yeux rivés de plomb. 
Une apparition cauchemardesque !
Elle ne reçoit plus aucun signe de l’extérieur – on l’abandonnait. On avait fini par l’oublier. Personne ne venait plus. La clef était restée sur la porte.
Son regard était désormais amenuisé par l’insomnie. Des cauchemars l’agitaient.  Elle se murait dans l’amertume.
Elle s’allongeait sur le lit et convoquait des visages et des voix qui survivaient dans sa mémoire. 
Un trop plein d’émotions commençaient à l’envahir, comme une marée puissante et la soûlaient presque.
Ce confinement avait eu raison de ses forces. 
Elle vivait comme un proscrit en sursis.
Seule, elle était pourtant plus libre qu’elle ne l’avait jamais été, même si un chemin noir s’ouvrait devant elle comme un tunnel.
Le silence l’agaçait. 
C’était un silence épais qui l’éveillait au milieu de la nuit. 
Un silence habité par le son des ténèbres.
Il lui venait à chaque fois un désir d’errance. 
Elle aspirait à une seule chose, un oubli purificateur !
Une tristesse indicible la prenait à la gorge. 
Il lui fallait partir.

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