mardi 28 avril 2020

Log book # 42




Christa est née à Berlin-Est, avenue Untendenlinden, proche du parc Tiergarten, l’année où ses parents se marièrent, en 1981 et y a passé toute son enfance et son adolescence.
C’est aussi là que son fiancé est venu la chercher pour la conduire à son nouveau foyer, lorsqu’ils décidèrent de se mettre en ménage et choisirent un logement dans un quartier moins huppé de la ville, le quartier de Friedrichshain, très fréquenté, à l’époque, par les jeunes berlinois qui s’y retrouvaient, dans les cafés, autour de la Simon-Dach-Strasse et faisaient couler la bière à flot, tout en payant un prix raisonnable.
Christa est aujourd’hui serveuse, dans un bistrot d’une petite ville de l’Ouest.
Un travail qu’elle a tout toujours pris très à cœur, mais elle a commencé à perdre l’éclat de cette discrète et délicate sollicitude qui charmait autrefois ses clients.
L’envie d’offrir aux gens son oreille attentive, lui a passé depuis longtemps et sa routine quotidienne lui pèse énormément .
Un jour, Christa n’allât pas à son travail. Ça ne lui était encore jamais arrivé. La patronne du bistrot monta chez elle, pour voir ce qui se passait.
Elle sonna, mais personne ne vint ouvrir. Elle y retourna le lendemain et sonna, de nouveau, sans résultat. Elle se résolut alors à appeler la police qui enfonça la porte.
Le logement était vide. Tout était soigneusement rangé, mais aucune trace de Christa, ni rien de suspect.
Christa n’apparût pas non plus les jours suivants. La police s’occupa de l’affaire sans rien découvrir de nouveau. La disparition de Christa finit par être classée parmi les affaires jamais réglées.
Ce dont ni la police, ni la patronne du bistrot ne pouvaient se douter, c’est que Christa, un beau matin, alors qu’elle était seule, dans le café, le regard plus triste encore que la veille, se sentant totalement happée par un vide profond, lourd de souvenirs et de remords, d’amertume et d’oubli décida d’y échapper sur le champ et de partir n’importe où.
Elle ressentait depuis quelque temps déjà cette terrible envie de partir, de tout laisser derrière elle, de s’alléger en posant à terre ce fardeau.
Elle voulait aller là où les choses sont légères comme une brise. Où les choses ont perdu leur poids. Où il n’y a ni remords, ni oubli. Quelque part où les choses ne pèsent rien.
Christa, comme dans un rêve, comme dans un conte, abandonna, ce matin-là, le comptoir derrière lequel elle avait passé plusieurs années de sa vie, telle une somnambule.
C’était un autre voyage vers l’infini, un aventureux voyage d’épopée.
Christa avait douloureusement perdu avec Stefan, la possibilité d’infini de leur amour.
La mort de son mari, dans un accident de voiture ne leur avait pas laissé cet infini à leur portée. Ils n’avaient pas pu aller jusqu’au bout. Cet infini lui avait beaucoup trop tôt échappé des mains.
Il n’est rien de plus intolérable que de voir mourir l’être aimé et les possibilités infinies de l’amour.
Ce livre est un roman sur Christa et, à l’instant où elle sortira de scène, ce sera un roman pour Christa. Elle est le personnage principal et le principal auditeur de tous les autres, jusqu’au matin de sa mystérieuse disparition. Elle est le réceptacle de toutes les histoires qui lui ont été contées à l’oreille, plus ou moins en confidence, et qui se rejoignent dans sa vie et dans sa propre histoire comme dans un miroir grossissant.
Christa ne se souciait pas le moins du monde où aller maintenant !
Elle emprunta le chemin de la gare et prît le premier train au départ, sur le quai.
Soudain, fatiguée, elle s’affala de tout son poids sur la banquette, côté fenêtre et reposa sa tête, sentant toutes les secousses du trajet. Tout lui était désormais indifférent. Elle était partie pour un long voyage sans savoir où elle allait.
Quand son mari était mort, elle n’avait pas pu voir son corps, tellement il était défiguré. Elle avait ressenti un choc profond. En un instant, il était un être humain et en une seconde la mort l’avait transformé en un affreux cadavre que l’on enfouirait sous terre ou que l’on jetterait dans le feu. Elle avait justement voulu que son mari fût incinéré, épouvantée à l’idée de ce que pourrait subir ce corps bien-aimé.
Et quelques mois plus tard, quand elle avait pensé au suicide, elle avait décidé de se noyer, loin, en pleine mer, pour que son corps disparaisse et se liquéfie.
Et voilà qu’elle prenait le train et descendait maintenant dans une ville inconnue, en bord de mer. Elle se demandait, à présent, si elle ne cheminait pas vers la douceur de la mort.
Elle s’en est un peu égarée ces dernières années, mais à présent, elle ne souhaite plus tenter de se débattre. Elle ne désire plus faire d’effort pour rien. Elle ne veut plus sentir le poids et le remords de l’oubli. Elle ne souhaite plus qu’une seule chose : annuler la fatigue qui lui pèse comme un fardeau trop lourd à porter.
Elle prend l’allée qui descend doucement en direction à la mer.
Elle quitte la rive après avoir ôté ses vêtements.
Elle nage.
Elle nage et, pour la première fois, depuis longtemps, elle se sent bien.
Elle sent son corps, elle sent son ancienne force.
L’eau est froide, mais elle se délecte de cette fraîcheur et ses mouvements de nageuse lui donnent du plaisir.
Elle nage depuis longtemps et le soleil descend lentement dans l’eau.
Elle est très loin de la rive.
Puis l’obscurité s’épaissit et il fait complètement noir.
Elle nage en pleine mer, en suivant toujours la même direction, mais ses membres commencent à se sentir faibles et l’eau devient insupportablement glacée.
Elle ferme les yeux et continue à nager.
Elle ne compte plus revenir en arrière maintenant.
Elle ne pense plus qu’à sa mort et elle veut mourir quelque part au milieu des eaux, loin de tout contact, seule.
Ses yeux se ferment et comme elle s’assoupit, par instants, à bout de forces, l’eau lui rentre dans les poumons.
Elle tousse. Elle suffoque. Elle sent très distinctement son épuisement et la rigidité de ses membres.
Une crampe terriblement douloureuse la foudroie au mollet droit.
Elle avale de nouveau de l’eau.
Elle ne parvient plus à tenir à la surface.
Ses jambes ne lui obéissent plus et pèsent de plus en plus lourd. Elles l’entraînent vers le fond comme un poids.
Sa tête s’enfonce sous l’eau.
Elle finit par disparaître sous la surface.


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