Christa est
née à Berlin-Est, avenue Untendenlinden, proche du parc Tiergarten, l’année où
ses parents se marièrent, en 1981 et y a passé toute son enfance et son
adolescence.
C’est aussi
là que son fiancé est venu la chercher pour la conduire à son nouveau foyer,
lorsqu’ils décidèrent de se mettre en ménage et choisirent un logement dans un
quartier moins huppé de la ville, le quartier de Friedrichshain, très fréquenté,
à l’époque, par les jeunes berlinois qui s’y retrouvaient, dans les cafés, autour
de la Simon-Dach-Strasse et faisaient couler la bière à flot, tout en payant un
prix raisonnable.
Christa est aujourd’hui
serveuse, dans un bistrot d’une petite ville de l’Ouest.
Un travail qu’elle
a tout toujours pris très à cœur, mais elle a commencé à perdre l’éclat de
cette discrète et délicate sollicitude qui charmait autrefois ses clients.
L’envie d’offrir
aux gens son oreille attentive, lui a passé depuis longtemps et sa routine quotidienne
lui pèse énormément .
Un jour, Christa
n’allât pas à son travail. Ça ne lui était encore jamais arrivé. La patronne du
bistrot monta chez elle, pour voir ce qui se passait.
Elle sonna, mais
personne ne vint ouvrir. Elle y retourna le lendemain et sonna, de nouveau,
sans résultat. Elle se résolut alors à appeler la police qui enfonça la porte.
Le logement
était vide. Tout était soigneusement rangé, mais aucune trace de Christa, ni
rien de suspect.
Christa n’apparût
pas non plus les jours suivants. La police s’occupa de l’affaire sans rien
découvrir de nouveau. La disparition de Christa finit par être classée parmi les
affaires jamais réglées.
Ce dont ni la
police, ni la patronne du bistrot ne pouvaient se douter, c’est que Christa, un
beau matin, alors qu’elle était seule, dans le café, le regard plus triste
encore que la veille, se sentant totalement happée par un vide profond, lourd
de souvenirs et de remords, d’amertume et d’oubli décida d’y échapper sur le
champ et de partir n’importe où.
Elle ressentait
depuis quelque temps déjà cette terrible envie de partir, de tout laisser
derrière elle, de s’alléger en posant à terre ce fardeau.
Elle voulait
aller là où les choses sont légères comme une brise. Où les choses ont perdu
leur poids. Où il n’y a ni remords, ni oubli. Quelque part où les choses ne
pèsent rien.
Christa, comme
dans un rêve, comme dans un conte, abandonna, ce matin-là, le comptoir derrière
lequel elle avait passé plusieurs années de sa vie, telle une somnambule.
C’était un
autre voyage vers l’infini, un aventureux voyage d’épopée.
Christa avait
douloureusement perdu avec Stefan, la possibilité d’infini de leur amour.
La mort de
son mari, dans un accident de voiture ne leur avait pas laissé cet infini à
leur portée. Ils n’avaient pas pu aller jusqu’au bout. Cet infini lui avait
beaucoup trop tôt échappé des mains.
Il n’est rien
de plus intolérable que de voir mourir l’être aimé et les possibilités infinies
de l’amour.
Ce livre est
un roman sur Christa et, à l’instant où elle sortira de scène, ce sera un roman
pour Christa. Elle est le personnage principal et le principal auditeur de tous
les autres, jusqu’au matin de sa mystérieuse disparition. Elle est le
réceptacle de toutes les histoires qui lui ont été contées à l’oreille, plus ou
moins en confidence, et qui se rejoignent dans sa vie et dans sa propre
histoire comme dans un miroir grossissant.
Christa ne se
souciait pas le moins du monde où aller maintenant !
Elle emprunta
le chemin de la gare et prît le premier train au départ, sur le quai.
Soudain,
fatiguée, elle s’affala de tout son poids sur la banquette, côté fenêtre et reposa
sa tête, sentant toutes les secousses du trajet. Tout lui était désormais
indifférent. Elle était partie pour un long voyage sans savoir où elle allait.
Quand son mari
était mort, elle n’avait pas pu voir son corps, tellement il était défiguré. Elle
avait ressenti un choc profond. En un instant, il était un être humain et en une
seconde la mort l’avait transformé en un affreux cadavre que l’on enfouirait
sous terre ou que l’on jetterait dans le feu. Elle avait justement voulu que
son mari fût incinéré, épouvantée à l’idée de ce que pourrait subir ce corps
bien-aimé.
Et quelques
mois plus tard, quand elle avait pensé au suicide, elle avait décidé de se
noyer, loin, en pleine mer, pour que son corps disparaisse et se liquéfie.
Et voilà qu’elle
prenait le train et descendait maintenant dans une ville inconnue, en bord de
mer. Elle se demandait, à présent, si elle ne cheminait pas vers la douceur de
la mort.
Elle s’en est
un peu égarée ces dernières années, mais à présent, elle ne souhaite plus tenter
de se débattre. Elle ne désire plus faire d’effort pour rien. Elle ne veut plus
sentir le poids et le remords de l’oubli. Elle ne souhaite plus qu’une seule
chose : annuler la fatigue qui lui pèse comme un fardeau trop lourd à
porter.
Elle prend l’allée
qui descend doucement en direction à la mer.
Elle quitte
la rive après avoir ôté ses vêtements.
Elle nage.
Elle nage et,
pour la première fois, depuis longtemps, elle se sent bien.
Elle sent son
corps, elle sent son ancienne force.
L’eau est
froide, mais elle se délecte de cette fraîcheur et ses mouvements de nageuse
lui donnent du plaisir.
Elle nage
depuis longtemps et le soleil descend lentement dans l’eau.
Elle est très
loin de la rive.
Puis l’obscurité
s’épaissit et il fait complètement noir.
Elle nage en
pleine mer, en suivant toujours la même direction, mais ses membres commencent
à se sentir faibles et l’eau devient insupportablement glacée.
Elle ferme
les yeux et continue à nager.
Elle ne
compte plus revenir en arrière maintenant.
Elle ne pense
plus qu’à sa mort et elle veut mourir quelque part au milieu des eaux, loin de
tout contact, seule.
Ses yeux se
ferment et comme elle s’assoupit, par instants, à bout de forces, l’eau lui
rentre dans les poumons.
Elle tousse. Elle
suffoque. Elle sent très distinctement son épuisement et la rigidité de ses membres.
Une crampe
terriblement douloureuse la foudroie au mollet droit.
Elle avale de
nouveau de l’eau.
Elle ne
parvient plus à tenir à la surface.
Ses jambes ne
lui obéissent plus et pèsent de plus en plus lourd. Elles l’entraînent vers le
fond comme un poids.
Sa tête s’enfonce
sous l’eau.
Elle finit
par disparaître sous la surface.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire