jeudi 16 avril 2020

Log book # 30




L'horoscope de Rob Brezsny



Semaine du 16 au 22 avril 2020Pendant trois jours, mets le moindre de tes faits et gestes au service de ton plus noble idéal.

Verseau
20 JANVIER – 18 FÉVRIER
“Notre Père qui êtes aux cieux, restez-y.” proclamait Jacques Prévert, parodiant avec un sarcasme iconoclaste la prière chrétienne. Farouchement athée, le poète n’éprouvait nul besoin d’en appeler aux bons offices d’une quelconque figure divine paternelle pour régler sa vie et son destin. Je le comprends d’autant mieux que, personnellement, j’aurais plutôt un faible pour les déesses. Mais en ce moment, Verseau, même si tu es allergique à l’idée d’invoquer quelque puissance divine, je ne saurais trop te recommander de rechercher dans ton panthéon laïque de généreuses influences masculines, susceptibles d’imprimer un élan à ta vie intérieure.


J’espère que ce sera une belle journée aujourd’hui. 
Par les fentes des volets, j’aperçois une lumière qui doit être celle du soleil. Il a plu toute la semaine dernière et cette semaine n’aura connu que d’éparses éclaircies. Il nous faut du beau temps pour ne pas moisir entre quatre murs, en plus de mourir d’ennui.
Qui suis-je aujourd’hui ? Écrivaine ? Peintre ? Sculptrice de mots ? Quelque chose du genre. Quelque chose d’approximatif. Je suis moi. Une femme qui n’est pas en bonne santé, sur le point d’entamer une journée identique à celle d’hier et à celle de demain.
Je me sors de mon sommeil léthargique et j’étire le bras droit, puis le gauche, puis les deux en même temps. Je n’ai plus aucune préoccupation, plus aucune responsabilité, plus d’urgence à aller au travail. Je n’ai même plus de travail. Une certaine mélancolie m’envahit à cette idée. L’étau se resserre autour de moi.
Que de belles choses se produisaient avant dans le monde. Des satellites artificiels étaient lancés dans le vide. Nos sonnettes retentissaient pour que les releveurs de compteurs de gaz, d’électricité et d’eau, les facteurs avec des lettres recommandées puissent faire leur entrée et porter leurs affaires par le monde. Plus aucune sonnette ne retentit dans cette immeuble bunker. Cette pensée m’effleure et m’attriste.
En allant dans la salle de bains, je remarque au plafond une tache d’humidité. Il faudra que j’engage un peintre, quand nous serons déconfinés. Aurais-je encore de quoi payer sa note ?
Je me regarde dans le miroir, au-dessus du lavabo et je me rends compte que mon nez, mon front et ma lèvre supérieure sont de plus en plus préoccupés.
Le téléphone retentit de façon stridente et terrible à cet instant. Je réponds. Ma mère me fait le récit déroutant de sa longue journée d’hier.  Je l’écoute d’une oreille plus que distraite. Son désarroi est parfois audible , bien qu’elle cherche à me le cacher.
Pendant ce temps-là, la pluie se remet à tomber drue sur les dalles du jardin. Il s’agit bien là d’un complot sournois !
Le monde ressemble désormais à un grand pénitencier. Ces jours d’expiation deviennent, avec les trombes d’eau diluviennes qui s’abattent sur nos têtes, encore plus sombres et emplis d’amertume. 
Un véritable tourment pour nos âmes, qui ne savent toujours pas quand elles auront permission de sortie. Il n’est pas exclu, en effet, que le confinement se prolonge jusqu’à l’été, du moins pour les personnes les plus vulnérables.
Il est difficile de maintenir son calme dans de pareilles circonstances. Nous vivons des temps véritablement ahurissants ! L’épreuve est difficile et l’inquiétude nous mine au plus profond de notre être. Les conséquences psychologiques d’un tel vécu sont encore difficilement traçables.
Pour certains, les projets se bousculent et des idées désespérées pour l’avenir s’enchevêtrent de façon presque neurasthénique ; alors que d’autres se vautrent dans une apathie et une léthargie quasi complètes. 
D’aucuns veulent parler de tout et aussi de ce malheur, des heures durant, au téléphone ; d’autres se cloîtrent dans un mutisme absolu et n’échangent plus aucune confidence réciproque sur ce qui est devenu le sujet principal de conversation de nos malheureuses communautés, ni sur aucun autre thème.
Sur les réseaux sociaux, des sketchs et des textes drolatiques foisonnent au même titre que les cartoons des auteurs humoristiques plus connus.
Comment surmonter cette épreuve sans sombrer dans une espèce de folie collective ? À mesure que les jours passent, ça devient une entreprise presque désespérée.
Pour ma part, je m’impose au quotidien un terrible effort d’emprise sur moi-même ; un auto-contrôle qui parfois m’échappe des mains et donne lieu à des accès de rage incontrôlée, qui se révèlent autant de soupapes rédhibitoires et catarctiques d'évacuation, afin de laisser échapper par moments la vapeur accumulée.  
Puis, j’ai mon passage secret et mon ascenseur de passe muraille. Ça n’est, somme toute, pas négligeable. Je m’évade de ma cellule, autant que je le désire. 
Le jardin d’Eden de mon enfance est le plus souvent mon décor préféré, mais il m’arrive d’aller sur une plage du Caribe, au coucher du soleil.
Il faut à tout prix que mon esprit continue d’être libre.



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