Dans un
entretien sur France Culture, la sémiologue Mariette Darrigade livre son regard
sur les mots liés à la pandémie et au confinement. Elle s’arrête, notamment, sur
une fonction du langage qui s’impose avec plus de force qu’à l’ordinaire :
« se toucher avec les mots lorsque l’on ne se voit pas. »
-« Alors qu’est-ce
que tu fais de tes journées ? Tu écris toujours ton log book ? »
me demande une amie, à brûle-pourpoint, juste après les salutations d’usage virtuel, en cette période de réclusion forcée à domicile.
-« Oui, j’écris
un brin tous les jours. »
-« Tu n’en
as pas encore marre ? » insiste-t ’elle.
-« Non. Ça
me permet de m’évader de l’Absurdie généralisée. C’est un peu comme l’art de la
prestidigitation. J’oriente mon attention vers d’autres horizons, pour me
dérober, ne serait-ce que momentanément, à ce que j’ai sous les yeux. Je ne
suis pas une confinée des villas, je ne télétravaille pas un orteil plongé dans
la piscine. Je n’ai plus de travail. J’essaie ainsi de ne pas perdre pied au
milieu de cette tourmente, de cette atmosphère de « fin du monde »
qui nous met sous cloche. Je m’efforce de réencastrer dans mon récit l’éventuel
et le fortuit, pour ne pas réagir en régressant. Je veux au contraire grandir
vite ! Je ne souhaite pas revenir à la folie ordinaire de l’avant. »
-« Moi, je
ne sais pas, poursuit-elle, j’ai l’impression que les gens qui écrivent sont de
plus en plus hors du temps. Mais aussi les peintres et les sculpteurs et les
musiciens. Tout ce que les artistes produisent me semble vain et inutile. Un
jeu qui n’est somme toute qu’une fin en soi, vide de sens ! Tu comprends
ce que je veux dire ? »
- …
-« Les écrivains,
les peintres, les musiciens, les artistes d’une façon générale, se préoccupent parfois
de façon désespérée à dégoter les nouveautés, les plus absurdes et les plus invraisemblables, pour faire sensation, mais le public s’en fout de plus en plus. Il devient de
plus en plus indifférent à vos manigances, excuse-moi de ma sincérité. » exclama-t
’elle.
- …
Elle semble
avoir envie de remuer le couteau dans la plaie béante.
-« À quoi
ça sert d’écrire dans notre monde d’aujourd’hui ? Est-ce que c’est même
sérieux ? Sois sincère ! »
La tournure que
prenait cette conversation commençait à bien me déplaire.
-« Littérature,
art voilà là de bien grands mots ! Ça ne vaut rien ! Queue dalle !
C’est une farce montée exclusivement pour le pognon ! »
-« Je ne
sais pas. » finis-je par écrire, à la fois désemparée et abusée.
-« De nos
jours, les gens veulent du solide, du plaisir matériel, palpable, immédiat. Un
plaisir qui ne leur coûte pas de fatigue, ni d’argent et surtout qui ne leur
crève pas la cervelle ! Ce que font les artistes, aujourd’hui, n’intéresse
plus personne. Un jour viendra où la distance sera telle qu’il n’y aura plus
personne pour vous lire ou vous écouter… ».
-« Bon,
osais-je, peut-être que produire de l’art, même des choses inutiles, stupides,
folles ou incompréhensibles, c’est encore ce qui nous distingue des bêtes. Et
peut-être justement à cause de leur inutilité ! Même si ces choses sont
indéchiffrables, la seule intention de leur production… écrire, peindre,
composer, sculpter, même si elle est râtée… c’est la seule voie de salut pour l’humanité,
pour ne pas régresser à l’âge des cavernes… ».
Elle se tut
finalement. Probablement à court d’arguments.
Je me souviens
que déjà enfant, en lisant des contes de fées je sombrais dans l’abîme, le rêve, le
désir, le triomphe le plus exaltant. J’éprouvais une joie fugueuse intense et jamais
égalée.
Comment peut-on aborder
l’art de façon aussi effrontée ? Pour quelle raison cette folle éberluée
remet tout en cause de façon aussi grivoise ?
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