« Quoique
cette brusque retraite de la maladie fût inespérée, nos concitoyens ne se
hâtèrent pas de se réjouir. Les mois qui venaient de passer, tout en augmentant
leur désir de libération, leur avaient appris la prudence et les avaient habitués
à compter de moins en moins sur une fin prochaine de l’épidémie. Cependant, ce
fait nouveau était sur toutes les bouches et, au fond des cœurs, s’agitait un
grand espoir inavoué. Tout le reste passait au second plan. Les nouvelles
victimes de la peste pesaient bien peu auprès de ce fait exorbitant : les
statistiques avaient baissé. Un des signes que l’ère de la santé, sans être
ouvertement espérée, était cependant attendue en secret, c’est que nos
concitoyens parlèrent volontiers dès ce moment, quoiqu’avec les airs de l’indifférence,
de la façon dont la vie se réorganiserait après la peste. »
La peste, Albert
Camus
Je me suis éveillée
aujourd’hui avec une envie irrésistible de prendre l’ascenseur de mon immeuble.
C’est je dois l’avouer quelque chose d’inhabituel pour moi, étant
claustrophobique et habitant, de surcroît, au premier étage, ma tendance
naturelle est l’évitement et je grimpe toujours, à moins d’être excessivement
chargée de courses ou de bagages, par les escaliers jusqu’à ma porte.
Vérité soit dite,
notre ascenseur n’est, en outre, pas rapide du tout. J’ai donc pris l’habitude d’emprunter
la cage d’escaliers.
C’est pourquoi, je ne parviens pas à m’expliquer cette subite idée saugrenue de prendre l’ascenseur, qui se déclare en moi et se propage comme un doux vertige viscéral. Je ressens quelque chose là, à la hauteur même du sternum.
C’est pourquoi, je ne parviens pas à m’expliquer cette subite idée saugrenue de prendre l’ascenseur, qui se déclare en moi et se propage comme un doux vertige viscéral. Je ressens quelque chose là, à la hauteur même du sternum.
Deux choses sont
à retenir quand on réfléchit à un ascenseur : si on y pense bien, il n’y a
aucun endroit au monde où les visages des gens, qui ne se connaissent pas, prennent une expression de crétinisme et d’idiotie, aussi inévitablement intense, que dans un ascenseur, car l’intimité claustrophobique, tout à fait
occasionnelle, cesse en quelques instants, ce qui représente une raison de plus
pour arborer une suprême, voire une exécrable indifférence.
D’autre part, normalement, les gens ne se parlent pas ou se lancent tout bonnement un bonjour, bonne journée du bout des lèvres, fixant la paroi d’en face, le regard vide, sans accorder un seul sourire, arborant un air de défiance arrogante.
D’autre part, normalement, les gens ne se parlent pas ou se lancent tout bonnement un bonjour, bonne journée du bout des lèvres, fixant la paroi d’en face, le regard vide, sans accorder un seul sourire, arborant un air de défiance arrogante.
Quant à l’ascenseur,
lui, il suit son habituelle impétuosité élastique et s’enfonce, dans sa cage, avec le même ébranlement, qu’il monte ou qu’il descende, puis ralentit son
allure, avec toujours la même lenteur.
Les deux valves de la porte ont chacune un petit hublot vitré par lesquels on voit défiler les portes fermées des étages et leurs numéros correspondants.
Les deux valves de la porte ont chacune un petit hublot vitré par lesquels on voit défiler les portes fermées des étages et leurs numéros correspondants.
Je me surprends
à imaginer que, par un phénomène mystérieux, l’ascenseur, avec moi dedans, continue
de s’enfoncer, dans les entrailles de la terre.
C’est une situation épouvantable pour une claustrophobe comme moi. Dans la vie réelle, je serai paralysée de terreur. Mais là, à l’inverse, je me sens heureuse et je veux à tout prix initier ce voyage. Un peu comme une naufragée dans une capsule du temps.
C’est une situation épouvantable pour une claustrophobe comme moi. Dans la vie réelle, je serai paralysée de terreur. Mais là, à l’inverse, je me sens heureuse et je veux à tout prix initier ce voyage. Un peu comme une naufragée dans une capsule du temps.
J’ai les yeux
fixés, droit devant moi. Je suis absorbée par la vitesse, même si la descente est
somme toute, assez douce. L’ascenseur descend toujours et continue de descendre, à belle allure maintenant. Il se trouve, désormais, à je ne sais combien de centaines de mètres, dans les entrailles de la
terre. Il est temps qu’il s’arrête. Je le mets en suspens.
L’ascenseur
commence, doucement, à remonter. Il remonte cette fois à une vitesse
vertigineuse. Il repasse le rez de chaussée, puis il s’arrête à mon étage.
J’ouvre la porte avec un soupir. Je rentre chez moi. Il vient de m’arriver une aventure fantastique.
Je ressens une heureuse sensation de légèreté et de vivacité physique.
J’en suis agréablement surprise. Je ne sais aucunement comment ma peur panique des ascenseurs vient de disparaître. Comment ai-je fait? Par quels pouvoirs magiques? Quel phénomène étrangement impressionnant !
J’ouvre la porte avec un soupir. Je rentre chez moi. Il vient de m’arriver une aventure fantastique.
Je ressens une heureuse sensation de légèreté et de vivacité physique.
J’en suis agréablement surprise. Je ne sais aucunement comment ma peur panique des ascenseurs vient de disparaître. Comment ai-je fait? Par quels pouvoirs magiques? Quel phénomène étrangement impressionnant !
Et dire que tout
ceci s’est passé dans un intervalle temporel de trois minutes.
Il est très
difficile d’expliquer avec des mots le sentiment de l’être qui, à l’improviste, passe du monde réel à une sphère différente
et mystérieuse. S’agit-il d’une faiblesse cérébrale ? Une tumeur au cerveau ? Ou pis encore ?
J’ai déjà
entendu parler de tumeurs au cerveau qui se révèlent par des symptômes de ce
genre.
Est-ce un
phénomène surnaturel d’ubiquité ? Et si cet immense pouvoir supérieur m’était
donné ?
Je pourrais m’exercer
à me déplacer d’un endroit à un autre, avec une vitesse supérieure à la lumière.
Aucun obstacle ne pourrait m’arrêter. Je m’élancerai d’une ville à une autre, d’un
pays à un autre. D’un saut, je gravirai les plus hautes montagnes et franchirai
les vastes déserts planétaires. J’admirerai, du haut des gratte-ciel, ces resplendissantes
mégalopoles de verre et d’acier, chaque soir. Je dépasserai en quelques
secondes à peine, les fuseaux horaires. J’irai de la nuit au soleil, de l’aube
au crépuscule. J’admirerai la blancheur des maisons, ces draps blancs posés
contre le bleu de la mer. Les villages, ces petits abîmes de lumières scintillantes
et palpitantes dans la nuit noire. Les enseignes
phosphorescentes des centre-ville, les jardins taciturnes, les plages au
couleur du soleil. Quelle exaltation triomphale ! Quelle folie monumentale !
Quelles prodigieuses facultés de passe muraille, dignes de Mr Dutilleul !
Ah ! Quel
merveilleux pouvoir secret ! Mon cœur bat la chamade.
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