« La
reprise est cette catégorie paradoxale qui unit dans l’existence concrète ce
qui a été (le même) à ce qui est nouveau (l’autre). »
Sören
Kierkegaard
Lors d’une
conférence, enregistrée en 2017, François Julien, titulaire de la Chaire sur l’altérité
du Collège d’études mondiales, à la Fondation Maison des Sciences de l’Homme,
dit très clairement en guise d’introduction et suivant les pas de Kierkegaard :
« Quand on avance dans la vie, on se pose la question : je me répète
ou je reprends ? Ainsi, on a le choix : accéder à une seconde vie
grâce à la reprise, ou passer à côté à cause de la répétition. La reprise n’est
ni soumise, ni passive comme le souvenir, ni ignorante, ni ardente comme l’espérance ;
ainsi, elle n’est ni bloquée, ni plombée par le poids du passé, ni
inconsistante, ni versatile, parce que projetant dans le futur à son gré. »
En cette période
de « l’histoire en-train-de-se-faire », les penseurs que compte la « planète
intellectuelle » s’essaient à un exercice risqué : prévoir les conséquences
de cette pandémie sur l’organisation de nos sociétés.
Les hypothèses sont aussi contradictoires que nombreuses. Tout le monde semble avoir sa petite idée sur le « monde d’après ».
La « mise en panne de l’économie mondiale » pour cause de confinement de plus de la moitié de la population humaine ne pourra pas rester sans effet sur la suite de notre histoire, c’est ce qu’ils s’accordent tous à dire, pratiquement à l’unisson.
Les hypothèses sont aussi contradictoires que nombreuses. Tout le monde semble avoir sa petite idée sur le « monde d’après ».
La « mise en panne de l’économie mondiale » pour cause de confinement de plus de la moitié de la population humaine ne pourra pas rester sans effet sur la suite de notre histoire, c’est ce qu’ils s’accordent tous à dire, pratiquement à l’unisson.
John Gray, dans
The New Statesman, est l’un des tenants les plus radicaux de la thèse de la
rupture : « Ce n’est pas une rupture temporaire venant créer un
déséquilibre temporaire : la crise que nous traversons est un point de
bascule historique. » Selon lui, la crise du coronavirus va ébranler les
fondements mêmes de nos démocraties.
Mario Vargas
Llosa, prix Nobel de la Littérature, s’inquiète au contraire, des risques que
la crise en cours fait peser sur les libertés : « Dans notre monde
libre, si le contrôle de l’État est accepté, c’est uniquement parce que la
situation est extraordinaire et qu’on la sait passagère. »
Pour le politologue
allemand Jan Werner Mueller : « les situations d’urgence ont
deux effets : dans les états démocratiques, elles concentrent le pouvoir
entre les mains de l’exécutif (…) L’autre effet est plus pernicieux: dans
les pays déjà menacés par ce que les sociologues appellent _l’autocratisation_ ,
les dirigeants se servent de cette crise du Covid-19 pour se débarrasser des
derniers obstacles à leur maintien perpétuel au pouvoir. »
John Gray affirme
encore que « l’ère du pic de mondialisation est terminé ». Nous avons
pris conscience qu’ « un autre monde plus fragmenté est aussi plus
résilient. »
Ce qui lui fait penser que les nations et les frontières vont faire un retour prononcé.
Ce qui lui fait penser que les nations et les frontières vont faire un retour prononcé.
Ian Goldin, lui
est un des rares auteurs à avoir prédit, dès 2015, dans son livre The Butterfly
Defect. How Globalization Creates Systemic Risks and What to Do About it, que
la prochaine grave crise économique serait causée par une pandémie.
Ce professeur à l’Université d’Oxford, spécialiste de la globalisation ne croit pas à une démondialisation: «Produire en Chine restera, après la crise une nécessité vitale pour toutes les grandes entreprises: le marché chinois est le plus dynamique du monde. Et la Chine demeurera le premier exportateur de la planète. »
Ce professeur à l’Université d’Oxford, spécialiste de la globalisation ne croit pas à une démondialisation: «Produire en Chine restera, après la crise une nécessité vitale pour toutes les grandes entreprises: le marché chinois est le plus dynamique du monde. Et la Chine demeurera le premier exportateur de la planète. »
Certains
économistes prédisent même qu’une « globalisation accrue » pourrait
sortir de cette crise, car « les entreprises auraient tendance à diversifier
davantage la localisation de chaque maillon de la chaîne de valeur afin de
pallier les risques mis en lumière par la crise actuelle. »
J’ai fait exprès
de mêler les deux plans, l’individuel et le collectif, dans cette réflexion sur
le monde d’après.
Pour ma part, je
me radicalise, je n’accepterai plus, sous aucun prétexte le capitalisme sauvage
qui menace notre civilisation humaine et tue honteusement et systématiquement
notre écosystème, avec l’extermination massive des espèces animales, l’épandage
de pesticides mortellement toxiques, la destruction des conditions de vie sur terre
avec la consommation astronomique d’énergies à 80% fossiles. Il faut appuyer
des solutions plus justes et plus sociales et plus douces. Il faut reconnaître
qu’un nouvel équilibre doit renaître, dans lequel, nous humains ne seront plus
les tout-puissants prédateurs. Il nous faut trouver d’autres manières d’exister
sur terre.
À titre
individuel, j’annule mes choix de vie professionnelle d’abord et je revois méticuleusement,
un par un, tous mes choix de vie et je
les recompose.
Je n’ai aucune intention de revenir à l’avant.
Je n’ai aucune intention de revenir à l’avant.
À l’instar d’Olga
Tokarczuk, lauréate du prix Nobel 2018 de Littérature, je me demande si ce n’était
pas « le monde fiévreux d’avant le virus qui était anormal ? » Et
elle ajoute : « Ce virus nous a rappelé que nous ne sommes pas
séparés du monde avec notre « humanité » et notre exceptionnalité,
mais que le monde fait partie d’un vaste réseau auquel nous appartenons,
connectés à d’autres êtres à travers un fil invisible de responsabilité et d’influence. »
Et je conclus
avec elle : « Sous nos yeux, le paradigme de la civilisation qui
nous a façonnés au cours des deux cents dernières années se dissout comme un
brouillard au soleil, paradigme selon lequel nous sommes les seigneurs de la
création, nous pouvons tout faire car le monde nous appartient. De nouveaux temps
arrivent. »
« Nature
srikes back » selon la formulation du biologiste américain René Dubos. La nature
rend coup pour coup, elle ne fait que répondre aux perturbations que l’humanité
lui impose.
Il faut
désormais prendre très au sérieux le concept de « one Health »,
constat de Pascal Picq, un paléoanthropologue qui affirme que « pour
garantir une bonne santé aux hommes, il faut garantir une bonne santé aux
animaux, ainsi qu’aux environnements naturels. »
Entre crainte de la fin du monde et renaissance, nous avons encore le choix.
Entre crainte de la fin du monde et renaissance, nous avons encore le choix.
Moi, pour ma
part, j’ai fait le mien, dès maintenant. J’espère que le mouvement des idées
nouvelles suffira à dégoupiller quelques machines infernales. Je suis de ceux
et de celles qui n’ont connu directement ni guerre, ni couvre-feu, ni
rationnement, ni disette, ni persécutions ou difficultés matérielles d’aucun
ordre. Ce confinement, dans des conditions éprouvantes, aura constitué la
première angoisse planétaire de nos existences pour la plupart d’entre nous.
Des voix, des gestes,
des partis politiques, des peuples, des États doivent interroger le modèle de développement
dans lequel s’est engagé le monde.
Il est fréquent d’entendre : « La politique, ça ne me concerne pas ! » ou bien encore « Les honnêtes gens ne s’approchent pas de la pourriture que représente aujourd’hui la politique ! » Moi-même, je l’ai déjà dit et répété plus d’une fois.
Mais arrive le jour où chacun comprend que des choix politiques nouveaux s’imposent.
Il est fréquent d’entendre : « La politique, ça ne me concerne pas ! » ou bien encore « Les honnêtes gens ne s’approchent pas de la pourriture que représente aujourd’hui la politique ! » Moi-même, je l’ai déjà dit et répété plus d’une fois.
Mais arrive le jour où chacun comprend que des choix politiques nouveaux s’imposent.
Le confinement c’est
aussi un moment où chacun doit s’arrêter et réfléchir…
Avec le souci d’agir
dès maintenant. On a compris désormais ce qu’il en coûte d’avoir une chaîne d’approvisionnement
globale et de dépendre d’opérateurs étrangers. Chacun a pris la juste mesure de
ce qu’il en coûte aussi à la planète d’avoir à subir les déforestations
sauvages, les délocalisations, l’accumulation de déchets, la mobilité
permanente.
Dorénavant, une certaine forme de protectionnisme, l’écologie, la justice sociale et la santé pour tous
constituent les éléments clé d’une pensée politique anticapitaliste assez puissante
pour imposer un programme de rupture.
Mots-clés :
« reprise » ; « rupture ».
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