samedi 11 avril 2020

Log book# 25




« Tout le malheur des hommes, vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. »

Blaise Pascal


C’est bien vrai qu’il nous est bien difficile de rester cloîtrés sans rien faire et de ressasser des idées que nous préférons, d’une manière générale, maintenir à distance et sûrement ne nous harcèleraient pas, incessamment et méthodiquement, si nous avions loisir de nous affairer dehors, dans le monde. Pour la plupart, nous nous évertuons à nous divertir à tout prix, toute distraction futile ou sérieuse servant notre propos d’esquive !
D’ailleurs, conformément à son étymologie latine « divertere » signifie « se détourner ». Nous avons donc une sérieuse tendance à penser d’emblée aux occupations qui nous permettent d’ignorer nos afflictions existentielles, que ce soient des activités de loisir ou professionnelles. Je connais, pour ma part, nombrede workaholiques invétérés.

« Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, écrit Pascal, ils se sont avisés pour se rendre heureux de n’y point penser ! »

Ils se protègent ainsi du désespoir. En revanche, ajoute-t ’il, il faut se garder de penser que le bonheur viendra du seul divertissement, car dans sa poursuite nous oublions de vivre le temps présent.

Avant Pascal, déjà Sénèque associait aussi le divertissement à l’agitation inutile et à la diversion thérapeutique qui permet de se défaire, momentanément, des maux de l’existence. 
Dans son traité intitulé  De la tranquillité de l’âme, écrit entre 47 et 62, le philosophe romain affirme ceci : « C’est ainsi qu’une fois privé des divertissements que les gens affairés trouvent au cœur même de leurs occupations, on ne supporte plus d’être chez soi, seul, entre les murs de sa chambre. Et que l’on a du mal à se voir abandonner à soi-même. De là cet ennui, ce dégoût de soi, ce tourbillon d’une âme qui ne se fixe jamais nulle part, cette sombre incapacité à supporter son propre loisir (…) de là, cet état d’esprit qui conduit les hommes à détester le loisir et à se plaindre de n’avoir rien à faire. »

Sénèque semble vouloir associer à l’oisiveté une idée d’expérience ascétique et stoïcienne, de sagesse monastique . « Dans l’oisif, le vulgaire voit un homme retiré de tout, libre de crainte, qui se suffit et vit pour lui-même, tous privilèges qui ne sont réservés qu’au sage. (…) C’est une si belle chose d’être constant et ferme dans ses résolutions, que même la persévérance dans le rien faire nous impose. » dans Lettres à Lucilius (63-64)

Rousseau également affirme ne pas craindre la solitude, dans ses Confessions, Livre II, il écrit : « Seul, je n’ai jamais connu l’ennui, même dans le plus parfait désœuvrement : mon imagination remplissant tous les vides, suffit seule pour m’occuper. »

Dans une fable animalière relatée dans Panerga et Paraliponema (1885), Arthur Schopenhauer raconte le dilemme des porcs-épics l’hiver. Quand ils sont isolés, éloignés les uns des autres, ces mammifères ont froid, mais quand ils se rapprochent pour profiter de la chaleur de leurs congénères, ils se blessent mutuellement avec leurs piquants. 
Pour Schopenhauer, le sort des porcs-épics illustre notre paradoxe existentiel qui oscille entre le besoin de société, l’instinct et l’appel du social, à cause, en partie, «du vide et de la monotonie de notre vie intérieure » et notre besoin d’isolement, d’un refuge à cause de « leurs nombreuses manières d’être antipathiques et leurs insupportables défauts.»  
Le philosophe recommande ainsi de garder ses distances, pour éviter l’agacement que peut susciter la vie en société. 
S’il plaide en faveur d’un certain isolement, il défend en même temps de profiter du plaisir de vivre en sa propre compagnie. 
Pour cela, il faut apprendre à cultiver « sa richesse intérieure » par des divertissements, tels que l’étude des grands esprits ou les contemplations esthétiques (dont la musique) qui sauront combler notre « vide intérieur » et nous faire supporter l’isolement.
« Se suffire à soi-même, être tout en tout pour soi (…) voilà certainement pour notre bonheur la condition la plus favorable » écrit-il dans ses Aphorismes sur la sagesse dans la vie (1888).

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