mercredi 1 avril 2020

Log book # 16




« Depuis, je n’ai pas changé. Cela fait longtemps que j’ai honte, honte à mourir d’avoir été, fût-ce de loin, fût-ce dans la bonne volonté, un meurtrier à mon tour. Avec le temps, j’ai simplement aperçu que même ceux qui étaient meilleurs que d’autres ne pouvaient s’empêcher aujourd’hui de tuer ou de laisser tuer parce que c’était dans la logique où ils vivaient et que nous ne pouvions pas faire un geste en ce monde sans risquer de faire mourir. »

La Peste, Albert Camus

Je résume la situation en quelques lignes : d’horribles hypothèses catastrophiques sont à craindre pour l’avenir. Des atmosphères « postapocalyptiques » sont le lot des villes épicentre de l’épidémie. Des régimes autocratiques profitent du fléau pour asseoir davantage leur pouvoir incontesté. En Afrique, pour appliquer le couvre-feu, les forces de police font régner la terreur. 
Des « émeutes de la faim », attisées par le virus, sont à redouter.  Tant qu’un vaccin n’aura pas été découvert, le Covid19 risque de continuer à sévir, par ondes successives, là où tout semblait déjà réglé. L’immunité n’est pas encore garantie. Le virus peut même muter et devenir plus vigoureux encore. Un tueur sans relâche.

Je me suis couchée tôt, hier, mais je n’ai pas réussi à m’endormir tout de suite. 
Je ne sais plus très bien quelle heure il était lorsque je me suis réveillée, en sursaut, dans un étrange état d’angoisse. Mon lit était trempé de sueur.
Quand on a l’esprit travaillé par quelque chose, ça finit par s’inscrire partout. Tout d’un coup, l’envie d’évasion me prend et me serre le cœur comme un étau. Le désir de m’éveiller en regardant la mer, les champs, la montagne, le désert, les villes, les fleuves, les ponts…
Vous savez bien comment sont les choses. Il suffit qu’on ait faim pour voir des restaurants partout ou que l’on soit malade pour repérer des pharmacies, à tous les coins de rue. 
Il suffit que l’on soit claquemuré chez soi, pour vouloir aller au temple.

Je nourris encore l’illusion qu’il m’est utile d’aligner ces mots infiniment et subtilement malléables, même s’ils ne disent rien. Me permettent-ils de m’échapper momentanément au triste cours des événements ?
Oui. Parfois je disparais et j’apparais ainsi ailleurs. Dans une grotte, au bord de l’océan ou au milieu de la forêt.
Que saura-t’on de moi, quand on aura lu mon récit jusqu’au bout ? 
La vérité s’y trouve-t ’elle, énigmatiquement chiffrée, encryptée? 
Y a-t-il assez d’éléments fournis pour la saisir ?

La vérité peut être le contraire de ce que l’on croit, de prime abord. 
Le problème est, bien entendu, de choisir entre tous les contraires possibles. 
Il se peut bien que je cherche à vous confondre. 
Comment interpréter les indices ? 
C’en devient presque cauchemardesque. L’évidence de la vérité peut être, à tout moment, gobée par la fiction qui l’enrobe.
J’aime à tordre, dans tous les sens, ces informations, apparemment banales, pour en extraire un sens caché, puis fastidieusement et interminablement, l’infiltrer dans la moelle obscure de l’histoire et ainsi déclencher la machination, tout en en gardant la trace, au moyen de ce réseau de miroirs trompeurs.

Dès les premières lignes, tout est tracé : la menace du virus qu’on appellera Covid-19, un nouvel coronavirus qui a fait irruption en Chine, dans la Province de Wuyhan, probablement à la suite de la consommation d’un animal sauvage - le pangolin ou la chauve souris, la chose n'a pas encore tirée au clair à cette date. La double menace : le Cancre. L’état d’urgence. Les villes quadrillées. La quarantaine forcée. Une situation compromettante pour la paix mondiale. Plusieurs personnages devinés. La narratrice. Plusieurs points de vue. Le huis clos et les endroits supposés des autres. Préparer une mise en scène. Rideaux. Masques. Identifications. Allusions.  Préparer à rebours toutes les étapes successives de la pièce exige désormais un heureux génie qui ne souhaite pourtant pas trop se compromettre.

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