« Arrivé
là, on admettra sans peine que rien ne pouvait faire espérer à nos concitoyens
les incidents qui se produisirent au printemps de cette année-là et qui furent,
nous le comprîmes ensuite, comme les premiers signes de la série des graves événements
dont on s’est proposé de faire ici la chronique. Ces faits paraîtront bien
naturels à certains et, à d’autres, invraisemblables au contraire. Mais, après
tout, un chroniqueur ne peut tenir compte de ces contradictions. Sa tâche est
seulement de dire : « Ceci est arrivé », lorsqu’il sait que ceci
est, en effet, arrivé, que ceci a intéressé la vie de tout un peuple, et qu’il y
a donc des milliers de témoins qui estimeront dans leur cœur la vérité de ce qu’il
dit. »
La peste, Albert
Camus
Cette nuit, mon
thème fétiche est la Chronobiologie, c’est-à-dire l’étude des rythmes
biologiques dans l’organisme.
La « forme »
semble avoir perdu ses puissantes facultés de débranchement de mes circuits, engendrant un sensible dérèglement de mon horloge
interne. Il est exactement 03H00 et je tourne encore à pleine vapeur !
Je m’avoue définitivement
séduite par la tournure que prennent les choses. On voit bien que j’ai encore une certaine emprise sur la « forme », encore soit-elle de courte durée.
Je reprends le
cours du roman prophétique, dont je poursuis avidement la lecture. Et c’est ainsi,
qu’à la page trente et un… les notes personnelles de l’un des personnages mentionnent :
« Question :
comment faire pour ne pas perdre son temps ? Réponse : l’éprouver
dans toute sa longueur. »
Etrange coïncidence !
Au bout de huit
jours de confinement, scandaleusement désœuvrée, alors que d’autres – anonymes "soldats" – sont au combat, je tente de voir
comment me débattre avec cette "Question", sans véritablement oser l’aborder. À l’évidence,
la « forme » a, subrepticement, dressé en moi un blocage mental
opiniâtre et tenace, coupant court à toutes mes défaillantes velléités de
mobilisation et d’action.
Faiblarde et indolente
la « forme » se complaît dans une hébétude toute végétale; affalée
sur le canapé à longueur de journée ; traînant, nonchalamment, ses savates
usées suivant un tracé savamment étudié, allant de la chambre au salon et du
salon à la cuisine ; se plaisant à annihiler avec des méthodes de sadique
corrompu toute volonté d’innovation indépendante et , souvent, gloussant sottement
comme une oie.
« Ainsi,
chacun dut accepter de vivre au jour le jour, et seul en face du ciel. Cet abandon
général qui pouvait à la longue tremper les caractères commençait pourtant par
les rendre futiles.»
En réalité, je
suis gagnée par un sentiment durable de torpeur et d’impuissance imbécile que
je ne parviens guère à outrepasser. Je sens résonner, en moi, une solitude encore
plus profonde qu’à l’habitude. Rien ne me semble être pire qu’une solitude
subie de force.
Il nous faut
désormais, sans y avoir été préparés, nous exiler, nous séparer de la meute, nous
mettre en cage, nous retenir à domicile.
Il nous faut composer d’emblée, d’une part, avec l’idée que l’autre – "l’enfer" de Sartre – est devenu, non plus symboliquement, mais littéralement aussi, une menace réelle et non plus supputée à notre intégrité physique et, d’autre part, nous accommoder du spectre de la mort.
Il s’agit là bel et bien d’un délitement inouï du relationnel, de l’humain, que je peine à accepter, d’autant plus que chacun semble désormais plongé dans son univers bulle . Un grand silence inquiet se fait entendre au profond de la nuit.
Il nous faut composer d’emblée, d’une part, avec l’idée que l’autre – "l’enfer" de Sartre – est devenu, non plus symboliquement, mais littéralement aussi, une menace réelle et non plus supputée à notre intégrité physique et, d’autre part, nous accommoder du spectre de la mort.
Il s’agit là bel et bien d’un délitement inouï du relationnel, de l’humain, que je peine à accepter, d’autant plus que chacun semble désormais plongé dans son univers bulle . Un grand silence inquiet se fait entendre au profond de la nuit.
« Dans ces
extrémités de la solitude, enfin, personne ne pouvait espérer l’aide du voisin et
chacun restait seul avec sa préoccupation. Si l’un d’entre nous, par hasard, essayait
de se confier ou de dire quelque chose de son sentiment, la réponse qu’il
recevait, quelle qu’elle fût, le blessait la plupart du temps. Il s’apercevait
alors que son interlocuteur et lui ne parlaient pas de la même chose. »
A l’étage, ma voisine
voyage, à pas feutrés, autour de sa chambre. J’en viens à penser que son rythme
circadien est peut-être amplement modifié par mes propres fréquences .
Hébétée, la « forme »
me signifie que l’écran Télé vient de rendre l’âme. Un enchainement drôle d’événements.
Un drame de plus?!..
À voir
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