« Car nous n’avons qu’une ressource avec
la mort, faire de l’art avant elle. » René Char
Nous en sommes, aujourd’hui,
les garçons et moi, au septième jour de confinement volontaire. La "guerre",
partout déclarée, contre un ennemi invisible, pousse les états à décréter, les
uns à la suite des autres, l’état de calamité et à fermer toutes les
frontières. Un confinement total de
toutes les populations, qui peinent à comprendre l’absolue nécessité de
modifier en profondeur leurs comportements, s’est progressivement imposé comme
une évidence. La prise de conscience a suivi des vitesses variables et souvent
insoutenables. Un grand retranchement collectif est devenu notre lot quotidien !
Mon cerveau et
mon corps semblent ne faire plus qu’un. Ils sont maintenant unis à vie, une
fois que le premier est tombé en asservissement et croule sous le diktat quasi absolu
du second. Cette "forme" solide et amorphe de matière décide désormais du
contrôle de mes fonctions vitales, c’est-à-dire d’à peu près tout.
Par exemple, la « forme » s’est programmée pour m’éteindre, tous circuits fermés, vers 21 heures (ce qui me fait ainsi louper la plupart des programmes TV les plus intéressants) et de me rallumer, pleins feux, vers 03 heures du matin. Il me faudra sûrement procéder à une séparation de corps de la « forme » et me reprogrammer de façon autonome et forcée sur mon horloge biologique, dans quelques semaines, dès que j’aurais repris le pouvoir, bien que je craigne que la forme ne gagne, sur moi, une emprise autoritaire permanente, irréversible et tentaculaire.
Par exemple, la « forme » s’est programmée pour m’éteindre, tous circuits fermés, vers 21 heures (ce qui me fait ainsi louper la plupart des programmes TV les plus intéressants) et de me rallumer, pleins feux, vers 03 heures du matin. Il me faudra sûrement procéder à une séparation de corps de la « forme » et me reprogrammer de façon autonome et forcée sur mon horloge biologique, dans quelques semaines, dès que j’aurais repris le pouvoir, bien que je craigne que la forme ne gagne, sur moi, une emprise autoritaire permanente, irréversible et tentaculaire.
De toute
évidence, mon esprit de grenouille est en proie à un phénomène courant de
contraction et dilation de l’espace-temps (une théorie qui me fascine cette
nuit ) qui apparemment, n’a pas de conséquence visible sur notre vie de
tous les jours (expression on ne peut plus sournoise).
Suivant cette
théorie, taillant allègrement dans le gras du lard, il semblerait que ce que l’on
observe, chez les autres, c’est toujours un ralentissement du temps, jamais une
accélération et que peut-être la vraie réalité… est en fait hors du temps !
Voilà qui
arrange bien mes affaires, car mon temps lui ne s’est ni dilaté, ni contracté,
n’en déplaise aux théoriciens, il s’est figé. À l’horizon se profilent d’interminables
semaines, séparés les uns des autres, avec la peur au ventre et la crainte très
poltronne de l’épuisement progressif de ceux qui, à l’extérieur, luttent contre
ce fléau ravageur et meurtrier et me maintiennent en vie.
« Ceux qui
se dévouèrent aux formations sanitaires n’eurent pas si grand mérite à le faire,
en effet, car ils savaient que c’était la seule chose à faire et c’est de ne
pas s’y décider qui eût alors été incroyable. (…) Parce que la peste devenait
ainsi le devoir de quelques-uns, elle apparut réellement pour ce qu’elle était,
c’est-à-dire l’affaire de tous. »
dans La Peste, Albert Camus
dans La Peste, Albert Camus
À l’étage, ma
voisine - qui aura son rythme circadien aussi déréglé que le mien-, croise la
chambre à petits pas feutrés, qui résonnent mollement, au creux d’un silence
profond. Pendant une fraction de seconde, j’ai accès à sa mauvaise solitude.
Cet isolement,
cet emprisonnement forcé, vécu seule, lui pèsera, c’est certain, plus lourdement.
Force est de constater
que je tourne en rond, comme un cobaye dans une cage de laboratoire, qui est à
la fois sujet expérimenté et expérimentateur. Et voilà que, à l’instar de Xavier
de Maistre, qui passa quarante-deux jours d’arrêt, dans la citadelle de Turin,
et écrivît un récit autobiographique; à l’aube du prélude à une symphonie d’un monde
meurtri, changé ( qui deviendra forcément nouveau), je succombe à une forme suspecte
d’introspection - ni déprimée, ni euphorique - pour trouver…
Ce que je ne sais pas moi-même, ce que je ne cherche peut-être même pas.
Ce que je ne sais pas moi-même, ce que je ne cherche peut-être même pas.
Ai-je enfin le
temps de réfléchir aux choses importantes de mon existence ? En
réalité, le temps m’est devenu presque trop accessible, telle une denrée
abondante qu’il faudrait tout d’un coup surconsommer. Cette abondance ne m’apparaît
plus providentielle du tout et me bloque. Le plus clair de mon temps, la « forme »
m’investit et je redeviens une larve presque parfaite.
« Le désir
éternel et jamais satisfait de l’homme, n’est-il pas d’augmenter sa puissance
et ses facultés, de vouloir être où il n’est pas, de rappeler le passé et de
vivre dans l’avenir ? (…) Ses projets, ses espérances échouent sans
cesse contre les malheurs réels attachés à la nature humaine, il ne saurait
trouver le bonheur. »
Voyage autour de
ma chambre, Xavier de Maistre
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