samedi 13 juin 2020

Log book # 83




Aujourd’hui, l’envie m’est (re)venue de jouer outrancièrement avec les mots.  C’est pourquoi, j’ai pris, sans y réfléchir, dans ma bibliothèque, ce livre, que j’ai ouvert au hasard et  où j’ai pioché ces quelques mots, que j’écris en italique:

De, en, ou, multiplier, qui, de, traversent, indispensables, la , iceberg, plus, aujourd’hui, recherche, apparaissent, semble, littérature, de, la, champ, que, d’abord, scientifique, largement, dans, aussi

Je les ai (re)cueillis sept par sept, puis je les ai agglutinés avec d’autres qui ont surgi par association libre et j’en suis arrivé à ce texte-puzzle qui est, somme toute, très révélateur de mon mode d’écriture habituel.
J’avoue que je raffole de formes expérimentales d’écriture depuis toujours.

De fil en aiguille, je parviens
à multiplier, largement,
les indispensables moments de répit,
qui traversent mon esprit
et qui apparaissent,
d’un point de vue exclusivement relié
au champ scientifique,
comme la pointe de l’iceberg
de mon sublime effort de survie.
Ce petit texte en prose
semble d’abord plus de la littérature,
mais il contient aussi une recherche ludique,
que je ne saurai aujourd’hui vous cacher,
ou que vous aurez deviné, de vous-même.

J’ai toujours été joyeusement attirée par les nombreuses contraintes qu’un de mes auteurs préférés, Georges Perec, utilisait dans la structure romanesque de ses œuvres.
Georges Perec a été engagé pendant plus de dix ans dans les recherches de l’OULIPO (Ouvroir de Littérature Potentielle) fondé par Raymond Queneau et Francis Le Lionnais, en 1960, qui regroupe mathématiciens et littéraires travaillant ensemble sur les structures littéraires.

« Proposer l’écriture comme pratique, comme jeu, approfondir ce qu’il en est du langage en s’opposant à la proéminence du message sur le code et aux « valeurs » telles que l’Œuvre, l’Inspiration, la Création, voilà quelques-unes des bases de travail de l’Oulipo.
La contrainte est, avec la potentialité – c’est-à-dire une exploration de virtualités–, un des mots clés de l’Oulipo. L’esprit qui régit la contrainte Oulipienne avait été bien expliqué dans un texte prémonitoire de Raymond Queneau, écrit longtemps avant que ne soit constitué le groupe qu’il aida à fonder :

Une autre bien fausse idée qui a également cours actuellement, c’est l’équivalence que l’on établit entre inspiration, exploration du subconscient et libération, entre hasard, automatisme et liberté. Or, cette inspiration qui consiste à obéir aveuglément à toute impulsion est en réalité un esclavage. Le classique qui écrit sa tragédie en observant un certain nombre de règles qu’il connaît est plus libre que le poète qui écrit ce qui lui passe par la tête et qui est l’esclave d’autres règles qu’il ignore. »

Perec fut notamment un spécialiste du lipogramme, texte où l’auteur s’astreint à ne pas faire entrer une ou plusieurs lettres. La Disparition par exemple, publié en 1969, est un lipogramme en E, c’est-à-dire un roman de trois cent onze pages où la lettre E n’apparaît pas – d’ailleurs le titre qui fait allusion à une enquête policière, rappelle métaphoriquement cette absence. Trois ans plus tard, l’auteur publiera, Les Revenentes, en n’utilisant que la voyelle E, mais en se permettant une certaine quantité de distorsions en cours de rédaction.
« La lettre E est un régulateur du système linguistique qui saute et qui provoque une désorganisation de ce système, obligeant ce dernier à « s’ouvrir », c’est-à-dire à aller chercher beaucoup de nouvelles informations, de mots rares ou tarabiscotés que le lecteur n’a pas coutume de lire dans une prose française traditionnelle. »

Le terme « jeu » vient du latin jocus qui veut dire « plaisanterie ». Penser le jeu, c’est également s’amuser à le déjouer.
Georges Perec avouait, en entrevue, sans aucune gêne, ne pas toujours respecter les règles du jeu lors de la rédaction d’un texte.
« En fait le jeu, dans sa formation même, crée un paradoxe qui est au centre de toutes les activités de l’existence humaine. Activité libre, le jeu est le symbole de la liberté. Et pourtant, pour atteindre cette liberté, il faut suivre des règles précises, strictes qui par définition, contrecarrent toute velléité de liberté. C’est pourtant à ce prix seulement qu’il est possible d’accéder à la parfaite liberté donnée par le jeu. Il met en scène et lie inextricablement l’opposition de l’imaginaire et du principe de réalité. Ainsi on peut placer « le jeu à l’intersection du monde extérieur et intérieur, dans ce « no man’s land » où se rencontrent les préoccupations subjectives et la vie commune, et ouvre ainsi à la spéculation un domaine immense.
Il est indéniable que le jeu est une des exigences sérieuses et organiques du psychisme de l’homme. Le jeu est ouvert sur l’imagination, sur une forme d’intelligence qui consiste à manipuler des éléments simples pour obtenir des constructions potentiellement très compliquées. »

Source : Le jeu des coïncidences, Jean-François Chassay


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