samedi 30 mai 2020

Log book # 71




« Il m’arrive de souhaiter la mort parfois, pas des autres, pas tout le temps, pas avec n’importe qui… de souhaiter ma propre mort, comme une délivrance de tout ce qui me choque, de ce qui me blesse dans la vie, dans la société. La mort, telle que je la vois, c’est le sommeil. »

Guy Bedos

L’autre soir, mon cousin préféré m’a dit, en blaguant, que je devrais boire de l’alcool pour me détendre.
Je lui ai immédiatement rétorqué que je ne serais absolument pas contre mais qu’il y aurait, dans ce cas, de fortes chances que je devienne alcoolique en très peu de temps, si seulement je commençais un jour à boire et pourrait ainsi mourir d’une cirrhose au lieu d’un cancre… l’un dans l’autre, je ne sais pas lequel aurait prévalence… ils se valent bien ! Nous nous sommes esclaffés bruyamment.
« Verse-moi encore un verre de Porto… »
Mon roman pourrait bien commencer par une pareille phrase. Il me faudrait aussi un bon prétexte pour ouvrir la bouteille.
Quand j’étais jeune et irréfléchie, j’ai pris quelques cuites mémorables, au point d’en avoir mal aux cheveux. J’en garde encore un souvenir physique.
Je sortais souvent pour aller en boîte et j’avais une bonne descente, ce qui me valait les éloges de mes complices de ces ténèbres d’un soir.
Lors de ces soirées inoubliables, j’éprouvais de l’amour pour le monde entier. C’est bien à cause de cela que j’ai perdu de façon imprévue ma virginité, avec un garçon une paire d’années plus jeune que moi, tout aussi vierge et inexpérimenté qui avait du sang noir et un bel ornement qui exerçait sur moi l’effet d’un irrésistible aimant.
Notre relation d’un soir a perduré, contre toute attente, encore cinq ou six mois. Ce beau mortel fût mon premier brise cœur. Il avait un penchant naturel pour l’amour universel lui aussi et une âme de Casanova. Sa carrière d’amoureux inconditionnel des femmes commença avec moi.
Un aussi charmant garçon, plein de joie de vivre. Ah ! comme je pensai l’aimer. Nous étions si ingénus et ignorants de la vie que nous ne comprenions pas même ce que nous étions en train de vivre. Plus tard seulement, en examinant le passé, je me suis rendu compte que j’avais vécu dans un brouillard émotionnel la plupart du temps et je compris finalement le sens de mes faits et gestes et de mes émois.
En matière de relations amoureuses, je n’ai jamais eu le cœur léger. L’insouciance avec laquelle les autres usent de subterfuges dans leur rapport à autrui m’a toujours causé beaucoup de soucis. Je ne parviens pas à accepter la mauvaise foi, parce que tout simplement je ne la comprends pas.
D’aucuns prônent pourtant que le sens de l’existence, c’est justement de s’amuser avec la vie, mais dans mon cas, la vie est trop indomptable pour que je m’en amuse et je n’ai jamais réussi à lui donner un coup de pouce dans ce sens, bien au contraire, toute tentative de ma part produit le même effet que de mettre de l’huile sur le feu.
Il m’a fallu beaucoup de temps pour atteindre une certaine forme de maturité, gagner une once soit-il d’intelligence émotionnelle, pour reprendre le jargon des sciences cognitives.
Je me suis aperçue sur le tard que les êtres humains ne sont pas forcément des êtres humains ou plutôt que je ne savais pas exactement ce que sont les êtres humains.
Finalement, j’ai été gagnée par le scepticisme et je ne tombe plus aussi facilement dans le « racket » émotionnel.
Je ne traîne plus de rancœurs. Je supprime au plus vite colère et frustration, dès qu’elles surgissent, mon corps et mon esprit y sont devenus comme allergiques.  Je recherche le calme et l’apaisement en toute situation.
La seule conclusion vraiment valable qui s’offre à moi désormais est qu’il y a des moments, dans la vie, où il faut à tout prix battre en retraite, abandonner les positions les moins importantes pour sauvegarder les positions vitales.
J’ai probablement enfin compris le sens des choses et de l’existence. Je ne souhaite plus jouer, confusément et lâchement, le triste rôle du petit soldat qui m’a été attribué par je ne sais quel petit dieu mesquin et vengeur ou par je ne sais quelle force étrangère.
Je veux diriger moi-même la course, avec audace et légèreté, la course de ce qui me reste d’existence.
Une consolation plutôt comiquement tardive, mais une consolation quand même.



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