dimanche 29 mars 2020

Log book # 13


« Quoique cette brusque retraite de la maladie fût inespérée, nos concitoyens ne se hâtèrent pas de se réjouir. Les mois qui venaient de passer, tout en augmentant leur désir de libération,  leur avaient appris la prudence et les avaient habitués à compter de moins en moins sur une fin prochaine de l’épidémie. »

La peste, Albert Camus

Je conçois que des perplexités de lecture surgissent devant cette nouvelle forme d’autobiographie feinte et fantaisistement méthodique.
Je demeure indécise sur la course à donner aux événements dont je suis le témoin passif, confinée dans une réclusion quasi permanente depuis maintenant exactement seize jours.
Mes rêves continuent de se peupler de sourdes clameurs et d’horreurs qui me fascinent autant qu’elles me confondent.
Je suis témoin passif et non actrice de ma vie présente. Je ne suis pas l’héroïne de mon histoire, mais son double. Je ne suis rien d’autre que la dépositaire de souvenirs sans fond, d’une mémoire vivante.
Les événements récents bouleversent le cours, jusqu’ici insignifiant de mon existence, pesant de tout leur poids sur mon comportement, ma manière nouvelle de voir les choses, et je voudrais pour les rapporter, adopter un ton froid et serein, pour réussir un lent déchiffrement.
Ayant désormais atteint l’âge mûr, les fils qui me rattachent à mon enfance sont depuis longtemps brisés.
Comme probablement tout le monde, j’ai absolument tout oublié de mes premières années de vie. 
Je ne sais plus grand-chose de mon enfance. Elle est derrière moi depuis presque un demi-siècle. 
J’en contemple de brèves images avec, tour à tour, nostalgie, terreur, perplexité. Est-ce un paradis perdu ou un point de départ de construction des fondations de ma vie et de son sens ?
J’ai enfoui au plus profond de moi des souvenirs improbables, corroborés par des photos jaunies, entassées dans des albums.
Quand je repense au cercle familial, je ressens tantôt un sentiment d’écrasement, de menace, tantôt une protection chaleureuse, ressemblant à de l’amour. 
Des souvenirs brumeux subsistent donc, mais ils sont fugaces, futiles ou pesants et rien ne les rassemble, rien ne les ancre, ni les fixe. Rien ne les entérine.
C’est une sorte de boutique obscure où je tâtonne pour trouver l’objet recherché.



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